Harry Callahan est un inspecteur de police de San Francisco que son aversion pour l'autorité expose (ainsi que ses partenaires) à des ennuis de la part de ses supérieurs et au mépris de ses collègues. Quand un tueur se faisant appeler Scorpio demande une rançon à la ville après avoir tué une jeune fille et la menaçant d'une série de meurtres, Harry va entamer sa traque, prenant au passage le temps de déjouer un vol à mains armés ou de convaincre à sa manière un suicidaire de ne pas se jeter du haut d'un immeuble. Inspiré du tueur du zodiaque à qui furent attribués 5 meurtres, 2 tentatives de meurtre et un enlèvement commis dans le nord de la Californie en 1968 et 1969 (qui fera l'objet du fantastique film de David Fincher, Zodiac) le scénario de ce qui deviendra Dirty Harry connu un parcours chaotique. Il connut des réécritures par John -Conan le barbare- Milius et Terrence Mallick (qui serviront de base à sa suite Magnum Force) et passa entre les mains d'acteurs tels John Wayne (qui le refusa car le personnage n’était pas honorable pour des années plus tard en incarner une copie dans le film McQ), Burt Lancaster ou Steve McQueen. Le projet faillit voir le jour sous le nom de Dead Right sous la caméra d'Irvin -L'Empire contre-attaque- Kershner avec Franck Sinatra en vedette, mais la star malade quitta le projet dont les droits furent rachetés par le studio Warner qui le destinait à Paul Newman. Ce dernier refusa le script "trop à droite" pour lui et suggéra de proposer le projet à Clint Eastwood alors en pré-production de son premier film de réalisateur Un frisson dans la nuit. Le grand Clint accepta à la condition de revenir à la première version du script et d’être dirigé par le vétéran Don Siegel un de ces réalisateurs fétiches qui avait mis en scène son retour aux US après sa période italienne dans Coogan's bluff (Un shériff à New York). Le film sort durant la présidence Nixon, l’ère progressiste des années 60 touche à sa fin et il apparaît réactionnaire : La figure du Hippie glorifiée par Easy Rider deux ans plus tôt devient celle d'un tueur dépravé qui en reprend les attributs portant le Peace Sign à la ceinture. La personnalité et le physique d'Eastwood tranche avec les anti-héros des 70's, les Hoffman, les Pacino, restaurant une image virile plus classique. Le film est vu comme une ode à la justice expéditive et devient la cible des critiques qui le considère comme rien de moins que néofasciste !
Don Siegel déclare à l’époque : "J'apprécie la controverse [entourant Dirty Harry] car faire un film "safe" ne m’intéresse pas. Je suis un libéral, je penche à gauche. Clint est un conservateur; il penche à droite mais à aucun moment de la réalisation du film nous n'avons parlé de politique. Je ne fais pas des films politiques, je fais un thriller sur un flic intraitable et un dangereux tueur. Ce que mes amis libéraux ne saisissent pas c'est que le flic est tout aussi mauvais, à sa manière, que le tueur." Si on peut difficilement voir en Dirty Harry un film gauchiste la réalité est plus contrastée que la caricature car le film capture un sentiment réel de crainte qui saisit l'opinion américaine face à la montée de la violence dans les grandes zones urbaines et si il se rattache à une tradition politique elle est plus à rechercher du coté du libertarisme avec cette vision d'un trop plein de lois entravant l'action publique et protégeant les mauvaises personnes, qui pense qu'il appartient alors à chacun de prendre des mesures. Le film doit beaucoup à la performance d'Andy Robinson (fils de la légende Hollywood Edward G. Robinson) qui fait de Scorpio psychopathe boitant et ricanant un adversaire si répugnant que le spectateur aussi libéral fut-il ne peut que cautionner toutes les méthodes pour l'éliminer. Cette figure deviendra le ressort habituel du film de vigilante alors que pourtant Don Siegel introduit de nombreuses nuances absentes des films qui suivront comme le Death Wish de Michael Winner.
Alors que l'on est au coté d'Harry tout au long du film, quand ce dernier après avoir blessé Scorpio au Kezar Stadium entreprend de le torturer - pour lui faire avouer le lieu ou il a enterré vivant deux petites filles - la caméra s'envole se désolidarisant pour la première fois des actions du héros. Elle observe les deux hommes tels deux insectes au milieu de l’arène les renvoyant dos à dos. Les parallèles entre le chasseur et sa proie abondent et si Callahan comprend si bien Scorpio c'est que par certains points il lui ressemble. Comme Scorpio observant ses proies à travers la lunette de son fusil, Harry est un voyeur, lors d'une planque, il laisse même s'échapper le tueur occupé qu'il est à observer une fille nue et un couple à travers ses jumelles. Lors de la fameuse séquence du hold-up, Harry prend un plaisir sadique, que rien ne semble justifier, à jouer avec les nerfs du braqueur blessé. Ce même plaisir que prend Scorpio à narguer les autorités. Le scénario multiplie les symétries entre les deux hommes qui seront tour à tour blessés à la jambe, subiront tous deux un tabassage en règle, jusqu'à ce qu'au cours de leur confrontation finale sur un bus scolaire, un plan ne les place armes à la main de part et d'autre d'un pare-brise les montrant littéralement comme le reflet l'un de l'autre.
Plus encore que la justice expéditive, Callahan incarne celui qui endosse les responsabilités d'une société qui se refuse à le faire pour ne pas se salir les mains : Dirty Harry est là pour faire le sale boulot. Quand Harry propose de s'occuper du tueur, son chef (John Larch) lui rétorque qu'il ne veut pas d'un "bain de sang." Ce dernier refuse même de compter l'argent de la rançon que Callahan, pourtant partisan d'une solution radicale accepte de remettre au ravisseur. Siegel et Eastwood, qui ont signé de nombreux westerns font d'Harry Callahan un anachronisme de cette époque, un pionnier perdu dans la société moderne. A l’époque du Far West, il se serait lancé sur la trace de Scorpio et l'aurait abattu lors d'un duel. Mais les lois ne lui permettent plus de rendre cette "frontier justice". L'ultime confrontation avec Scorpio tient du duel de western ou après l'avoir touché à l'épaule, Harry l'abat alors qu'il tente de ramasser son arme, avant de jeter son badge à la rivière, dans un geste hommage au Train sifflera trois fois. La caméra s'éloigne alors révélant au loin le monde moderne et ses highways.
Le film a le style sec des meilleures séries B, magnifié par les cadres en scope signés Bruce Surtees qui avait déjà travaillé avec Siegel (sur Les Proies) et Eastwood (sur Un frisson dans la nuit) dont il deviendra le collaborateur régulier jusqu'à Pale Rider en 1985. Et que dire de l'apport du score funk et jazzy de Lalo - Mission impossible - Schiffrin, qui donne une atmosphère unique au film et qui signera les partitions de toutes les aventures d'Harry le salopard. L'interprétation iconique d'Eastwood va définir le style de beaucoup de ses rôles et servir de matrice aux héros qui domineront les deux décennies à venir que ce soit à l'écran, de John McLane à Martin Riggs (la scène ou Riggs "gère" une tentative de suicide fait un écho direct à celle du film de Siegel) mais aussi dans les comics : la personnalité et le visage de Wolverine sont basés sur ceux de Callahan, Judge Dredd en constitue une parodie-hommage et bien-sûr la réinvention de Batman par Frank Miller dans Dark Knight Returns doit tout au film de Siegel. Au delà de son empreinte sur la la pop-culture, de sa véritable anthologie de répliques bad-ass, le film a traversé le temps et la polémique pour se révéler comme un classique indépassable et le meilleur film de cette année 1971.