Trimballé de mains en mains pendant quelques années, L’Inspecteur Harry aurait pu être un tout autre film s’il avait été incarné par John Wayne, Robert Mitchum ou Franck Sinatra sous la caméra de Sydney Pollack. Après avoir voyagé de studio en studio et avoir atterri entre les mains de Clint Eastwood qui contacta Don Siegel, l’œuvre est devenue une véritable référence.
Point de départ d’une nouvelle ère de films policiers (qui dura près de vingt ans), L’Inspecteur Harry a posé les bases d’un cinéma différent. Tendu, nerveux, violent, il décrit une société en pleine décrépitude. Confronté à un sadique (qui se paie le luxe de tuer quand même deux enfants!), Harry se heurte aussi, par ses méthodes, à une bureaucratie qui, en mettant en application la loi au pied de la lettre, protège celui qui l'enfreint. Question centrale dans la société américaine, la loi est ici interrogée d’une nouvelle manière. Alors que dans le western, il était difficile de la faire respecter et de mettre fin aux agissements des bandits, dans le film policier la respecter totalement empêche de mettre fin aux agissements des gangsters.
L’inspecteur Harry est donc ce personnage aux méthodes expéditives (héritées de celles utilisées par les personnages de western) qui règle les problèmes à sa manière. Western moderne, L’Inspecteur Harry l’est à différents titres. Ici, on se tire dessus comme en plein Far-West (Harry qui tire en pleine rue au beau milieu des passants). Harry est ce cow-boy solitaire ou ce Gary Cooper qui jette son étoile à la fin du Train sifflera trois fois. Pour l’incarner, Clint Eastwood est parfait pour créer cet archétype. La ville de San Francisco, l’autre personnage majeur, est filmée comme les grands espaces avec une toujours impressionnante profondeur de champ qui laisse imaginer la faune qui la peuple. Un monde interlope y grouille, surtout la nuit, avec ses femmes nues, ses désespérés, ses silhouettes errantes.
Qui regarde aujourd’hui L’Inspecteur Harry n’y trouvera rien d’original, rien que du vu et du revu. Normal, ce film est l’original avec ses nombreuses scènes nocturnes, ses prises de vue incroyables, ses répliques cultes, ses poursuites (sans voitures…), sa musique, sa noirceur, sa réalisation au cordeau. Une porte ouverte sur un nouveau genre qui a inondé les écrans pendant près de vingt ans jusqu'à saturation après trop de dérapages.