En 1930, le cinéma parle, partout, ou presque. Il est sorti de son silence, allant même jusqu’à chanter ! Tout le monde s’emballe pour ce jeune cinéma parlant plein de promesses et de nouvelles perspectives. Mais, pour un certain Friedrich Wilhelm Murnau, qui officie désormais aux Etats-Unis depuis L’Aurore (1927), ce n’est pas encore d’actualité. C’est ainsi que sort, en 1930, un nouveau et beau mélodrame muet, L’Intruse.
Depuis Faust (1926), notamment, Murnau a fait de l’amour l’élément essentiel de ses œuvres. Incontrôlable, passionné, enchanteur, destructeur, c’est par son expression que celle de l’humanité devient possible. Les rédemptions de Faust, puis de l’Homme, dans L’Aurore, en sont les témoins. Vient alors L’Intruse qui, avec son duo composé de Charles Farrell et Mary Duncan, nous ferait croire, à défaut de nous être renseignés auparavant, qu’il s’agit d’un film de Frank Borzage. Puis on voit ce jeune homme de la campagne partir en ville vendre du blé pour ramener de l’argent à la ferme familiale. Peu à l’aise avec les négociations, ce n’est pas avec la richesse qu’il reviendra en campagne, mais avec l’amour, celui d’une jeune citadine, lasse de la vie urbaine, espérant trouver la paix dans les vastes champs.
On y discerne, alors, comme cela a pu être mentionné, une sorte de miroir à L’Aurore, qui prenait le chemin inverse. Ce n’est plus l’homme des champs qui rêve de la ville, mais la femme de la ville qui rêve des champs. C’est dans l’innocence, la joie et l’insouciance qu’éclot cette histoire d’amour où les envies et les sentiments dépassent la réflexion, où le cœur devient le seul guide. Lui est fasciné par le tumulte de la ville, par la modernité, et elle rêve de grands espaces et de calme. Tout est beau, léger, à l’image de la sublime scène où les deux amants courent dans les champs, s’approchant de leur destination, du lieu où ils allaient démarrer cette nouvelle vie qui leur tend les bras. Mais, dans l’immensité des champs souffle un vent violent, qui balaie les épis et les jeunes pousses, et l’innocence des premiers temps se retrouve chassée par les épreuves, et l’étrangère devient l’intruse.
Deux mondes se rencontrent, et le choc engendre tensions, incompréhensions et malheurs. Dans un monde qui avait un certain équilibre, la jeune femme vient créer des perturbations et bouleverser l’ordre établi. Si elle ne semble pas désirée au sein de la maisonnée, son tempérament, et sa simple présence viennent agir comme de véritables électrochocs. Elle fait se confronter le père et le fils, elle montre les déviances des travailleurs des champs, si bien considérés par le père, et pourtant bien peu recommandables à bien des égards. Murnau fait, une nouvelle fois, de la femme l’élément perturbateur. Par les sentiments qu’elle provoque, elle agite les forces qui muent les hommes, parfois guidés par l’amour, parfois par leurs pulsions. Le cheminement doit rester le même : cela doit mener à une révélation. Faust comprenait l’essence de l’amour après de terribles épreuves grâce à Gretchen, l’Homme en faisait de même dans L’Aurore. L’amour, qui a souvent été source d’illusions, notamment dans les premiers films du cinéaste, doit maintenant également mener à une révélation et à une forme de rédemption. Et, dans le tumulte des tempêtes nocturnes qui balaient les champs, pourra, enfin, s’allumer la flamme qui ranimera les coeurs.
L’Intruse raconte une histoire d’amour d’une grande pureté, pleine de douceur et de candeur, avant de la confronter aux épreuves de la vie, synthétisant, quelque part, l’évolution de la vie de couple, de l’innocence des premiers temps à certaines désillusions et difficultés, que seuls l’amour et l’harmonie peuvent parvenir à supplanter. Alors que le cinéma muet devenait désuet, Murnau lui donne ses dernières lettres de noblesse, quitte à susciter la défiance des studios. Qu’importe, cet art, le cinéaste a su montrer qu’il le maîtrisait mieux que quiconque, et il continue ici de le faire au long de l’heure et demie que dure le film, touchant la grâce à plusieurs reprises, notamment lors de cette incroyable et inoubliable scène d’arrivée dans le domaine fermier. Peu importent les orages et les épreuves, l’amour trouve toujours un chemin.
Critique écrite pour A la rencontre du Septième Art