Je n'avais jamais réalisé à quel point la carrière de Murnau était condensée, une vingtaine de films en l'espace d'une décade seulement, autour des années 20. City Girl est proche de L'Aurore sous certains aspects mélodramatiques, mais il emprunte des sentiers lyriques sensiblement différents que je ne connaissais pas chez lui, et que j'associerais davantage à des réalisateurs qui lui étaient contemporains comme Borzage. C'est déjà, en 1930, l'avant-dernier film de Murnau, juste avant le magnifique Tabou, et également son troisième film américain.
L'Intruse est un agréable mélange de différents courants classiques, avec le crépuscule du cinéma muet et la simplicité presque revendiquée des trames narratives associées au registre du mélodrame. Murnau semble avoir totalement délaissé l'emprise allemande et expressionniste qui persistait encore dans son précédent Sunrise: A Song of Two Humans, d'après mes vagues souvenirs, pour embrasser une histoire et un style beaucoup plus américains, en quelque sorte. C'est également le terrain de ses principales limitations, car le manichéisme des antagonismes peut rapidement lasser.
En revanche l'opposition entre la ville (première partie du film) et la campagne (seconde partie) est relativement moderne, et à ce titre agréable, avec d'une part le lieu de la vanité et de la prostitution, puis de l'autre celui de la rudesse, de l'autorité, de l'aliénation. De manière assez surprenante, car je ne m'attendais pas à cette tournure, c'est la citadine insoumise qui permet à son mari d'éclore en tant qu'homme dans le cadre ultra-rigoriste du carcan familial. Si on poussait le concept un peu plus loin, il serait tentant d'y voir un accès de féminisme chez Murnau.
Une ferme perdue au milieu des champs, avec une manière très singulière de filmer le blé et le vent qui l'embrasse (il faudrait revoir le Days of Heaven de Malick), une photographie remarquable. S'interfèrent ainsi une situation initiale déjà conflictuelle (le patriarche autoritaire face au fils immature) et une péripétie sentimentale tout aussi complexe (la passion initiale laissant bien vite la place aux impératifs agricoles quotidiens). J'ai bien aimé la naissance du sentiment de rébellion chez cet homme prisonnier de son obéissance absolue et de cette austérité presque religieuse. Un film d'ailleurs un peu plus austère et moins baroque que d'habitude chez le réalisateur, dans l'ensemble.
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