Humeau,président d'un grand groupe pétrolier public,est arrêté pour abus de biens sociaux.Il est inculpé et interrogé par Jeanne Charmant-Killman,juge d'instruction pugnace qui veut faire tomber tout le réseau des magouilleurs de la Françafrique,mais elle s'attaque ainsi aux hautes sphères du pouvoir,ce qui va lui causer de sérieux problèmes.Il s'agit là du dernier bon film de Claude Chabrol,qui n'en fera plus que deux,assez médiocres,ensuite.Toujours farceur,le cinéaste affiche en préambule la fameuse phrase d'avertissement "toute ressemblance avec des personnes ou évènements réels serait involontaire et fortuite".Certes,il a coécrit scénario,adaptation et dialogues avec Odile Barski,mais l'histoire est clairement inspirée de l'affaire Elf,qui a défrayé la chronique en 1994,et on reconnait facilement certains intervenants,Jeanne étant Eva Joly,sauf qu'ici elle ne parle pas français comme une vache norvégienne,et Humeau n'étant autre que Loïk Le Floch-Prigent,le patron déchu d'Elf-Aquitaine.D'autres protagonistes évoquent au passage André Tarallo ou André Guelfi,le fameux Dédé la Sardine.Chabrol s'est entouré comme d'habitude de ses proches collaborateurs,notamment ses fils Matthieu,auteur de la musique,et Thomas,comédien,ainsi que de sa dernière épouse,la scripte Aurore Chabrol.Efficace et percutante,la réalisation procède par scènes courtes et précises qui font toutes avancer l'intrigue.Le pivot en est le personnage de la juge,dont on suit à la fois l'instruction et la vie privée.Car au-delà de sa raide détermination,cette femme connait des problèmes personnels importants,son mari étant excédé par la place envahissante que prend le métier de son épouse dans leur existence et l'éloignement que cela provoque entre eux.Et ça ne va pas s'arranger pour la magistrate,à qui les hommes de pouvoir mettent un maximum de bâtons dans les roues.L'expression est juste car sa voiture est sabotée,tandis qu'elle est ballottée de promotion bidon en saccage de son bureau.Elle s'obstinera cependant de manière obsessionnelle,car elle se sent investie d'une mission d'intérêt public,jusqu'à ce qu'elle soit finalement écartée du dossier.Chabrol se délecte avec cynisme des dérives d'un système crapuleux qui voit grenouiller grands patrons,politiques,hauts fonctionnaires et intermédiaires douteux autour des ressources naturelles africaines.Chacun s'en met plein les poches et abuse sans compter de l'argent du contribuable.Les scènes d'interrogatoire sont un véritable régal et dévoilent les rouages de ces manoeuvres occultes,tout en soulignant qu'elles ont toujours été d'actualité et qu'elles sont même nécessaires,car ces commissions et rétrocommissions servent à négocier pour les entreprises françaises les droits d'exploitation de matières premières que les dirigeants africains corrompus cèdent au plus offrant.Du reste,les mis en cause comprennent difficilement qu'on leur reproche ces activités habituelles qu'ils considèrent comme légales.Sauf que,malgré des salaires élevés,ils se sont largement servis au passage et ont énormément augmenté leur enrichissement personnel.Mais ces mecs ne touchent plus terre et se considèrent au-dessus des lois,leur immersion quotidienne dans le luxe et le pouvoir leur ayant fait perdre tout contact avec la réalité.Au final,comme on pouvait s'y attendre,la juge ne pourra pas aller plus loin que la mise en cause de quelques lampistes,tandis que les gros poissons s'en tireront indemnes et que le système perdurera.La formidable qualité d'une distribution parfaitement choisie est pour beaucoup dans la réussite du film.Isabelle Huppert est en totale osmose avec son personnage de magistrate psycho-rigide minée par les problèmes personnels,l'actrice sachant subtilement mettre en évidence les failles d'une femme moins invincible qu'elle ne veut le paraître et contaminée elle aussi par la fièvre du pouvoir.Car de toute évidence elle jouit,elle la fonctionnaire cantonnée dans son petit bureau minable et exigu,d'avoir la capacité de dominer et de tourmenter tous ces types arrogants et supposément intouchables,accomplissant une forme de revanche sociale.François Berléand est prodigieux dans le rôle d'Humeau,nous faisant vivre les étapes de la dégringolade de ce PDG rompu aux honneurs et aux ors de la République qui se retrouve menotté,déshabillé,humilié,incarcéré.L'acteur lui confère une véritable humanité et,en dépit de ses errements,on en viendrait presque à le plaindre,surtout qu'il n'est pas le pire de la bande et qu'il paiera cependant pour les autres.Les autres,parlons-en.Une équipe d'acteurs chevronnés s'active brillamment pour restituer ce carnaval de mafieux aux revers décorés.Patrick Bruel est tranchant et glaçant en président de société manipulateur et froid comme la mort,tandis que Jacques Boudet délivre une saisissante imitation de Charles Pasqua,avec accent méridional incorporé,restituant toute la faconde et la crapulerie assumée du sénateur.Et que dire des intermédiaires,joués de façon géniale par Philippe Duclos et Jean-François Balmer.La façon évasive du premier de ne pas répondre aux questions relève du grand art,alors que le second crève l'écran en barbouze cauteleux aux lunettes fumées.On a également Roger Dumas en politicien ripou,dont on se demande si son homonymie avec Roland Dumas,lui aussi mouillé dans l'affaire,est vraiment "fortuite".Jean-Christophe Bouvet est excellent en avocat cassant,et l'immense Jean-Marie Winling fait une trop brève apparition.Coupé au montage peut-être?Belles performances de Marilyne Canto en juge adjointe à Jeanne,Pierre Vernier en président de tribunal faux-jeton,Robin Renucci en mari à bout de nerfs,Thomas Chabrol en neveu bohème de la magistrate et Jean-Marie Juan en garde du corps aux petits soins.