La première demi-heure, énergique, violente, intense, et sans le moindre temps mort, est, de loin, ce qu'il y a de meilleur dans ce film. Henry Hathaway y est au sommet. Vincent Price est étincelant de charisme et de talent en Joseph Smith, fondateur de L'Église des Mormons. La scène de la mort de son personnage pendant un lynchage est dantesque. Le plaidoyer vibrant de Brigham Young, pendant la séquence du procès, est fort. Si toute la suite avait été du même acabit, on aurait eu affaire à un grand film.
Mais une fois, les Mormons éloignés de leurs persécuteurs, le rythme se ralentit considérablement, les scènes se suivent, la plupart du temps sans inspiration. Pratiquement rien n'est intéressant à regarder. On a l'impression qu'Henry Hathaway ne savait plus trop quoi faire pendant tout le reste du film.
Mais le plus négatif concerne sans conteste les personnages. Brian Donlevy joue un antagoniste de pacotille qui n'apporte rien au récit, que ce soit sur le plan scénaristique que sur celui de l'atmosphère. Tyrone Power et Linda Darnell, qui sont là uniquement parce qu'il fallait des stars de premier plan, ont des rôles sans la moindre consistance et, donc, ne peuvent pas faire grand-chose. John Carradine et Mary Astor n'ont pratiquement que dalle à défendre eux aussi. Il s'agit d'un déplorable gaspillage de talents.
Seul Dean Jagger réussit à s'imposer en Brigham Young, d'une manière écrasante et au total détriment des autres personnages (et autres acteurs). Et on peut regretter qu'il incarne un Brigham Young sans la moindre ambiguïté, sans la moindre complexité, à mille lieues des controverses de la véritable personne. On est dans l'hagiographie la plus totale, c'est à peine si on n'est pas surpris de ne pas le voir se promener avec une auréole au-dessus de la tête. Conséquence, malgré toute la conviction de Jagger, son personnage est, lui aussi, inintéressant, mais pour d'autres raisons.
Ah oui, pour ce qui est du sujet dérangeant de la polygamie, les rares fois où le film l'évoque, c'est tourné à la plaisanterie la plus totale, et les personnages masculins n'ont l'air que d'avoir une seule épouse. Donc, en plus d'avoir des personnages ratés, l'ensemble est incroyablement lisse et fait pour montrer les Mormons comme des êtres parfaits.
En dehors de la première demi-heure, seules quelques petites bonnes choses sont à sauver. Déjà, une chose que j'apprécie énormément chez Hathaway, c'est son goût pour les tournages en extérieur. Oui, j'adore voir des acteurs évoluer dans de véritables paysages. Je ne suis pas trop fan du carton-pâte. Ensuite, la scène de l'invasion des crickets (en plus, il s'agit d'une véritable à avoir été filmée) et celle de la cavalerie de mouettes arrivant à la rescousse font leur effet. Bien aimé aussi ces plans où les Mormons, tout en continuant de se déplacer en charrettes, vivent dans la plus grande normalité, comme si de rien n'était (donner des cours aux enfants, faire de la couture, etc.), et aussi le fait que les seuls à montrer de la tolérance et de l'empathie pour eux, au cours du film, soient les Indiens. Ce sont des petites idées de mise en scène ou scénaristiques brillantes, mais noyées dans plus de 80 minutes sans grand intérêt.
En conséquence, aussi bien dans la carrière de son cinéaste que dans celle de ses acteurs, ce film, dans sa globalité, est clairement mineur. Pour ce qui est du spectateur, il est difficile, surtout par rapport un début puissant et mémorable, pour lui de ne pas ressentir une très grande déception.