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Trois ans après son arrivée à Hollywood, Alfred Hitchcock pose ses caméra dans un petit village de la Napa Valley et filme enfin la Californie, sans fard, en introduisant 


le diable au cœur d'une famille ordinaire.



Avec cette étude de caractères au microscope, le cinéaste britannique dépose le suspense au comble de l'insupportable au fil d'une narration perverse qui éclaire tour à tour les affres d'un tueur en proie au doute et menacé par cette nièce à qui il porte tant d'affection, et les frayeurs de celle-ci qui ne peut se résoudre à le voir tel qu'il est sous le masque. Le succès de l'œuvre marquera des générations de cinéphiles, à raison.


J'ai déjà parlé de l'intérêt novateur du maître quant à l'écriture cinématographique. Au début de sa carrière américaine, Shadow of a Doubt en est un exemple percutant. Il y a là 


de nombreux mouvements d'une époustouflante modernité,



à l'origine des envolées du cinéma d'aujourd'hui. Ce plan qui s'élève en plongée par-dessus les épaules de la jeune Charlotte lorsqu'elle découvre les accusations dont son oncle fait l'objet est d'autant plus magistral qu'à son apogée, il dévoile de longues ombres à l'expressionnisme imprimé durablement sur la rétine et l'imaginaire. Le passage en panoramique d'une séquence en bas des escaliers de la maison à une autre, dans la foulée, au cœur du salon familial lie avec intelligence deux tableaux que les codes du cinéma muet auraient scindés. Le lent et inexorable zoom au plus près du regard habité de l'oncle Charlie tenant son discours de haine pour celles qui dilapident l'argent de vies sacrifiées au travail raccordé au zoom arrière depuis la réaction sidérée autant qu'angoissée de sa nièce nous plonge au cœur même du dilemme développé jusqu'au dénouement. Alfred Hitchcock filme



le cheminement fragile des émotions, la fin des illusions,



avec une maestria qui définira durablement l'écriture cinématographique.
Par-delà cette immersion aux doutes de ses personnages, le réalisateur n'oublie pas de jouer de tension dans les menaces physique, réelles et concrètes, immédiates : les tentatives de meurtre déguisées en plausibles accidents font grimper le palpitant du spectateur d'un nouveau cran à chaque fois et le scénario laisse gonfler l'incertitude et la terreur jusqu'à leur apogée avant un final embarqué, mémorable. En opposant la tendre probité d'une jeune femme innocente et les manigances voilées d'un diable aux allures d'oncle attentionné, le film assied le spectateur entre deux fauteuils, conscient de l'indispensable disparition de l'un ou l'autre pour qu'une résolution apaise la situation mais incapable de choisir là où l'identification amène une forte charge, presque égale, de sympathie aux deux.
Le choix du casting, encore une fois, fait beaucoup : Joseph Cotten est impeccable sous les traits de cet oncle d'abord chaleureux mais qui dévoile peu à peu les impasses affectives auxquelles il s'accule. Du sourire le plus franc et le plus détendu aux fermetures machiavéliques du prédateur qui cherche une issue, aussi inconfortable soit-elle, le comédien compose avec justesse les humeurs changeantes d'un homme qui n'a d'extraordinaire que ces rares pulsions qui pourtant le définissent plus assurément que le reste de son existence d'apparences légères. Teresa Wright incarne, sinon avec talent, avec ferveur et compassion la transformation d'une jeune femme face à l'indicible réalité des cruautés du monde, la mort définitive de l'innocence : le rôle qui lui est dévolu porte alors tous les enjeux d'une jeunesse qui s'éteint et transporte littéralement le spectateur



aux questionnements de sa propre conscience.



Sans forcer, avec évidence. L'on pourra souligner également les prestations de Patricia Collinge, la sœur aîné du meurtrier, de Henry Travers, son époux, et de Hume Cronyn, voisin et ami. Sans oublier les deux enfants : toutes celles et ceux qui composent ce microcosme familial sont au diapason d'un réalité empreinte de banalité qui permet à l'intrigue principal de prendre, par opposition à ce calme tranquille et débonnaire, le volume indispensable aux tensions émotionnelles et de conscience à l'œuvre.


Shadow of a Doubt laisse longtemps planer l'angoisse quant à son dénouement, entre morale et sympathies les frontières de nos consciences s'y étiolent où le film réussit le tour de force de nous asseoir 


entre confort familier et malaise latent.



Film préféré du maître, d'après sa fille Patricia Hitchcock, c'est aussi une réelle leçon de cinématographe là où une forme moderne d'écriture s'invente de tentatives techniques durablement impressionnantes. Sur la banalité du quotidien, les aspirations grandioses d'une caméra partisane viennent poser l'ombre de ce doute en jouant à merveille



la sympathie et l'empathie pour ce diable d'homme



au moins autant que pour cette fragile nièce attachée au secret et qui s'expose au danger. Brisant là les frontières souvent trop simples d'un manichéisme plus flou que Monsieur Tout-le-Monde ne le laisse croire.

Créée

le 30 août 2018

Critique lue 109 fois

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