Dans un village français,deux jeunes gens,Marie et Jean,s'aiment en dépit de l'opposition de leurs parents et projettent de s'enfuir à Paris.Mais les coups du sort vont les éloigner l'un de l'autre puis les faire se retrouver."L'opinion publique" est un des premiers longs-métrages de Charlie Chaplin,qui en est réalisateur,scénariste et compositeur de la musique car,si c'est un film muet,il est quand même sonorisé.C'est une oeuvre atypique dans la carrière du cinéaste,d'une part parce qu'il ne joue pas dedans et surtout parce qu'il ne s'agit pas d'un film comique mais d'un mélodrame.Il faut cependant préciser que les comédies de Chaplin reposaient en réalité sur des évènements tragiques alors que ce drame est sous-tendu par une certaine ironie qui désamorce souvent la noirceur des situations.Le film n'a pas la puissance des grands succès de l'auteur et l'histoire se contente d'une trame de mélo linéaire et classique,ce qui est souligné par une musique envahissante de style pompier à la limite du supportable.Cependant,le talent de narrateur de Chaplin et son aisance technique permettent au film de rester plaisant.S'appuyant sur un beau noir et blanc,la direction artistique est solide et offre un aspect chatoyant avec des décors et des costumes de qualité.La mise en scène n'est pas en reste,Charlie donnant une réalisation inventive et rythmée.Le cinéaste utilise à merveille la profondeur de champ,voir notamment la terrible scène de la mère se penchant sur le corps de Jean avec,en arrière-plan,le tableau de Marie peint par le jeune homme,et il a des idées fertiles et étonnantes,comme le prouve son usage habile du hors-champ.La séquence du strip-tease à bandelettes en est un bel exemple,mais c'est encore plus fort dans celle où Marie discute avec son amie et que la caméra est fixée sur le personnage de l'esthéticienne qui écoute la conversation tout en s'occupant de Marie,ses réactions apparaissant sur son visage.Faire ça dans un film muet est extrêmement gonflé car,évidemment,on n'entend pas les dialogues qui sont résumés au fil des cartons entrecoupant les images.Et pourtant la scène fonctionne parfaitement,du pur génie!Par ailleurs,Chaplin s'y entend pour composer ses plans et y introduire des personnages curieux sur lesquels il sait se focaliser au bon moment,de manière originale et efficace.Sur le fond,nous avons affaire à une critique caustique d'une société basée sur l'argent,l'hypocrisie et la trahison,éternels défauts humains que l'auteur brocarde malicieusement,principalement à travers la figure de Pierre Revel,le désabusé et cynique amant de Marie,qui n'est dupe de rien et préfère s'amuser de tout.La fin sombre dans un moralisme attendu mais nous réserve une fabuleuse conclusion,Pierre et Marie se croisant sans se voir sur une route de campagne,matérialisant ainsi les chemins différents que suivent leurs vies.Au sein d'une distribution inégale,on déplore la raideur et le manque de présence de Carl Miller,qui incarne en plus un parfait imbécile.Edna Purviance,dans le rôle de Marie,est absolument magnifique.Elle fut la première vedette féminine de Chaplin et sa compagne,participant à la plupart de ses court-métrages.Hélas,on ne la reverra quasiment plus après "L'opinion publique".Belle et talentueuse,elle y est fantastique en femme déchirée entre deux hommes,deux mondes,deux visions de l'existence.Partagée entre l'amour et la vie facile,elle exprime superbement les hésitations d'une fille qui voudrait une vie "normale" sans parvenir à se défaire de sa vénalité,l'incroyable scène du collier défenestré étant éloquente à ce sujet.Pierre a les traits du grand Adolphe Menjou,extraordinaire acteur hollywoodien qui fit carrière de 1914 à 1960.Il est exceptionnel en riche dandy désinvolte ne nourrissant aucune illusion ni sur ses contemporains ni sur lui-même.