Après des errements aux USA, Mathieu Kassovitz signe pour son retour en France un film courageux. D'une part, car il traite d'un sujet encore très tabou pour beaucoup de gens : la prise d'otages en 1988 en Nouvelle Calédonie, qui s'est terminée par un assaut musclé (pas de spoiler ici, c'est l'un des premiers plans du film). D'autre part, car le sujet reste frais, de nombreux acteurs étant encore en vie en 2011.
Pour preuve, le réalisateur ne reçut pas le soutien logistique de l'armée française (compréhensible au vu du scénario !). Ni celui de la population kanak, contraignant Kassovitz à tourner en Polynésie au lieu de la Nouvelle Calédonie.
Il a été reproché à "L'Ordre et la Morale" de trop dévier de la vérité. En particulier, les militaires de l'armée de terre sont présentés comme des brutes, face aux gendarmes plus modérés. Tandis que le protagoniste, le capitaine du GIGN Philippe Legorjus, apparait comme un héros compétent et intègre... ce qui n'était visiblement l'avis général de ceux qui l'ont côtoyé. Mais à la rigueur, c'est un choix artistique, le film étant tiré du livre du capitaine en question.
En tout cas sur la forme c'est réussi. Le tournage en décors naturels dépayse et nous immerge dans la situation, entre tensions locales, revendications indépendantistes, et jungle luxuriante. La trame est assez haletante à suivre, grâce à toutes les composantes de la prise d'otage.
Négociations du GIGN, profils des indépendantistes, armée hostile qui veut tout raser, politiciens qui s'en mêle en pleine cohabitation Chirac / Miterrand et à quelques jours de l'élection présidentielle... bref le récit est riche. Et le réalisateur en profite allègrement pour faire passer ses messages, entre dénonciation post-colonialisme, anti-militarisme, et regard humain sur des preneurs d'otages paumés.
Sur la mise en scène, Kassovitz maîtrise ses décors et son histoire, et nous offre en particulier deux séquences bien réussies. Un flashback intégrant deux temporalités, et le fameux assaut, filmé caméra au point à hauteur d'homme.
Je reprocherai quelques acteurs limites chez les militaires. Et des choix étranges du protagonistes (cela trahirait-il que son comportement était effectivement loin d'être exemplaire dans la réalité ?).
Mais cela reste du cinéma français ambitieux, comme j'aime le voir.