Drôles d'oiseaux
L’ornithologue est à 2016 ce que Cemetery of Splendour fut à 2015 : un objet cinématographique hors normes, rebattant les cartes de la narration et magnifiant la magie d’un art du merveilleux, du...
le 2 déc. 2016
9 j'aime
1
Au nord-est du Portugal, le Rio Duero dessine la frontière avec l'Espagne. Réserve naturelle, la zone est protégée et semble immuable. Fernando est ornithologue. Installé dans son kayak, armé de jumelles, il descend la rivière et observe les oiseaux, à moins que ce soient les oiseaux qui l'observent. Le temps est comme arrêté.
Depuis son premier long métrage, O fantasma, João Pedro Rodrigues explore l'animalité humaine. Ses personnages se heurtent aux forces de la nature et à leurs propres pulsions, créent des alliances, se griment ou se transforment, se laissent posséder. Les récits réels et fantasmés étaient jusqu'alors principalement urbains. Avec L'ornithologue, le cinéaste semble franchir une étape. Entièrement tourné en décors naturels, son nouveau film pousse l'exploration encore plus loin.
Si le mythe de Saint Antoine (né Fernando, saint national portugais et accessoirement patron des marins, naufragés et prisonniers) a inspiré le récit, les rencontres de l'ornithologue avec deux pélerines chinoises plutôt dérangées puis un berger prénommé Jesus ne sont guère catholiques. Mystique mais paganique, volontiers blasphématoire, le film est présenté par son auteur comme un récit d'aventures, et c'est dans cette fable bientôt surnaturelle que le spectateur se plonge avec abandon et plaisir.
La charge érotique est comme toujours chez Rodrigues extrêmement puissante. La stature terrienne de Paul Hamy, son corps de dieu antique, la douceur de son regard et la voix du cinéaste le doublant font de Fernando un objet de contemplation et de désir. Il est à sa place parmi les oiseaux sauvages et rares, animal lui-même en pleine mutation. Le jeune Jesus (Xelo Cagiao), pâtre échappé d'une pastorale païenne affiche une nudité candide et forcément désirable. Le parallèle avec L'inconnu du lac de Guiraudie et Métamorphoses d'Honoré est évident. On est dans la même veine, la même symbiose avec l'eau, la terre, les arbres. On s'aime, on se tue, on s'aime à nouveau.
C'est évidemment un film de mise en scène. La maîtrise du cinéaste est absolue. On est là face à l'évidence. Du long prologue silencieux observant les oiseaux aux apparitions nocturnes, de la chaleur de la vallée à l'humidité de la forêt, la caméra est féline, les raccords limpides, la lumière domptée. Le travail sonore est riche et profond, immersif lui aussi. Magnifiée par la partition de Séverine Ballon dont le violoncelle semble révéler les bruits de la nature, la bande son fait corps avec l'image. La musique est comme un personnage, une présence en tout cas, une incarnation. Depuis Resnais, peu de cinéastes lui accordent autant d'importance.
C'est un voyage initiatique doublé d'une fuite, une mue progressive, un long trip. L'ornithologue est un film qui tient volontairement le monde à distance et se place hors du temps, un conte mystérieux dont l'épilogue est une promesse. Sensitif et peu bavard, le cinéma de Rodrigues met en images nos rêves, joue avec nos peurs et nos fantasmes, nous transporte et nous transforme.
Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Top 10 années 10, João Pedro Rodrigues, Les meilleurs films des années 2010, 2016 • Film par film et Les meilleurs films de 2016
Créée
le 18 oct. 2016
Critique lue 1.8K fois
23 j'aime
D'autres avis sur L'Ornithologue
L’ornithologue est à 2016 ce que Cemetery of Splendour fut à 2015 : un objet cinématographique hors normes, rebattant les cartes de la narration et magnifiant la magie d’un art du merveilleux, du...
le 2 déc. 2016
9 j'aime
1
Le dernier film de Joao Pedro Rodrigues est une fable bien curieuse, de celle qui déroute et fascine tout à la fois. Pourtant, son point de départ est d’une rugosité toute scientifique : armé d’une...
Par
le 17 nov. 2016
7 j'aime
3
Il s’en passe des choses le long du Douro, ce long fleuve qui prend sa source en Espagne avant de traverser le Portugal et d’aller se jeter dans l’Atlantique, à Porto. Fernando, jeune et bel...
Par
le 5 déc. 2016
5 j'aime
Du même critique
La première partie est une chorégraphie muette, un ballet de croisements et de trajectoires, d'attentes, de placements. C'est brillant, habilement construit, presque abstrait. Puis les personnages se...
Par
le 7 sept. 2016
51 j'aime
7
On mesure la richesse d'un film à sa manière de vivre en nous et d'y créer des résonances. D'apparence limpide, évident et simple comme la nature qui l'abrite, L'inconnu du lac se révèle beaucoup...
Par
le 5 juin 2013
51 j'aime
16
Le malaise est là dès les premières séquences. Et ce n'est pas parce que tous les personnages sont des connards. Ça, on le savait à l'avance. Des films sur des connards, on en a vus, des moyens, des...
Par
le 14 avr. 2014
41 j'aime
21