Chaque fois, c'est la même chose.
A chaque rediffusion de L'Ours, je me souviens.
De sa découverte entre mon papa et ma maman, au cinéma, la semaine de sa sortie. Puis, assez vite, au sein de ma classe de primaire, avec un directeur d'école à l'ancienne et qui se révélait avoir bon goût en matière de cinéma.
Je me souviens du choc initial. Puis de la rédaction que l'on nous avait demandé de faire, qui consistait en un résumé de ce que nous venions de voir. Le petit masqué, dans ses souvenirs imprécis, pense qu'il avait foiré l'exercice dans les grandes largeurs, car il s'était lancé, finalement, dans une réécriture du film au quasi plan par plan, ignorant la concision par nécessité, inconsciente, de montrer son amour tout juvénile et immodéré d'une oeuvre qui lui avait fait l'effet d'une bombe.
C'est ce souvenir qui remonte chaque fois à la surface devant L'Ours, alors que Behind se rend compte que le thème musical immortel est repris dans un chant d'oiseau discret ouvrant le film. Que parfois, tout cela s'avère un peu trop anthropomorphe par instants, ce dont le gamin de 1988 ne s'était pas rendu compte. Car celui-ci était encore réceptif au merveilleux, aux plans magnifique d'une nature souveraine, de la conquête de la Colombie Britannique comme l'écriraient London ou encore Curwood. A la quasi absence de dialogue venant brouiller le message.
La force de Jean-Jacques Annaud est de constamment faire triompher la magie sur le cynisme adulte. De faire disparaître un académisme supposé (?) derrière l'émerveillement sans cesse renouvelé, la capture des facéties de ses acteurs, et de tous ces petits moments fugaces qui, parfois, déchirent le coeur. Et c'est ainsi que, le temps d'un regard hébété qui nous apparaîtra terriblement humain, du tremblement saisi d'une patte postérieure au fond d'une grotte, terré, ou encore d'un câlin contre un corps inerte encore chaud, le spectateur s'abandonnera aux sentiments de détresse, d'injustice et d'empathie qu'il ressentira tour à tour.
Tout comme il ressentira une impression de malaise et d'inconfort vertigineux, le temps de séquences étranges de fantasmagories revisitées sur le ton d'une animation braconnant du côté d'une horreur contenue. Ou d'une violence parfois graphique, inévitable quant elle est lancée aux trousses du duo.
Jean-Jacques Annaud transcende ainsi le paradoxe d'un film spectaculaire mis au service d'une certaine idée de l'intime animalier tendant vers l'universel, d'une contemplation, d'une méditation sur la majesté d'une nature sur le point de souffrir de son pillage et du déséquilibre de l'empreinte humaine qui deviendra indélébile et meurtrière.
L'Ours est ainsi porté par une sorte de grâce. Une innocence animée par un ourson craquant confronté au malheur de la perte et au mal troublant son existence tout comme la sérénité de lieux uniques. L'Ours est aussi irrigué par une simplicité, une émotion et une magie à nulle autre pareille, portée jusqu'au lyrisme sous la caméra inspirée d'un Jean-Jacques Annaud virtuose.
Seize ans plus tard, comme un signe, son Deux Frères, sur un sujet similaire, peinait un peu, malgré la maîtrise, à renouer avec cet état de grâce.
♫ Behind, Behind, mon petit ourson...♪_the_Mask.