Quand j'avais acheté le DVD il y a quelques années, je croyais n'avoir jamais vu ce film. Dès les premières minutes, non seulement je savais que je l'avais déjà vu mais étais capable de retrouver l'ensemble du film tellement il m'avait impressionné par sa fausse simplicité et surtout pour le montage des scènes qui fait lentement monter la mayonnaise et qui donne une image (étalée) de la simultanéité.
"L'ultime Razzia" est un des premiers long-métrages de Kubrick tourné à l'âge de 27 ou 28 ans montrant déjà de belles capacités et une maîtrise certaine de la réalisation.
Le titre original est "The Killing" et constitue un jeu de mot quasiment intraduisible en français entre au propre "tuerie" et au figuré "gros coup aux courses". Le titre français sous-entend un autre aspect du film et n'est pas si mal choisi ; en effet, c'est une bande de papy qui fait le coup et pas du tout une bande de jeunes et de casse-cous.
D'ailleurs c'est quelque chose d'assez génial d'avoir eu l'idée de mettre en scène une bande de vieux, revenus de bien des vicissitudes comme la taule ou avec des soucis de vieux comme la maladie ou la retraite minable (surtout aux US). Sans oublier Georges, cocu programmé, naïf et jaloux (comme un vieux qui se sort une jeunette de 30 ans de moins et qui est malade de jalousie et désireux de prouver qu'il est encore un homme). Tous ces personnages sont très très crédibles. L'idée de Kubrick de donner un contexte aux personnages et leur attribuer une épaisseur dans le récit linéaire est très convaincante. Elle dépasse l'action du casse qui se ramène à un puzzle d'actions individuelles insignifiantes.
Sterling Hayden, en particulier : il joue le rôle d'un ex-taulard dont on sent qu'il a construit et mûri lentement et seul son projet en éliminant progressivement tous les obstacles. Le problème résultant qu'il perd de vue, c'est qu'il se retrouve à manier une énorme équipe difficile à contrôler. Sterling Hayden, c'est un peu l'image du loser qui veut à tout prix, au moins à ses yeux, montrer qu'il peut aussi avoir sa chance. La dernière image (le dernier portrait de Sterling Hayden) du film est terriblement bien réussie. Le spectateur en a mal au ventre pour lui. Sterling Hayden est inoubliable dans ce film.
L'autre truc génial de ce film c'est ce montage de scènes non pas répétitives mais juxtaposables comme les éléments d'un puzzle. L'idée c'est d'éclater l'instant t de façon à ce que le spectateur voit tout non en même temps (car ce serait incompréhensible) mais une action après l'autre pour qu'il puisse se faire sa propre synthèse. Cette idée sera reprise d'autres fois en particulier par Tarantino dans plusieurs de ses films.
"L'ultime razzia", c'est un film noir implacable dans lequel le Destin joue à dénicher la moindre faille du plan ou la moindre faiblesse des personnages pour mieux s'inviter dans le projet qui devait à coup sûr mener à la fortune.
Et comme dans tout film noir qui se respecte, c'est la femme fatale qui endosse la défroque du Destin et qui frappera à travers le ventre mou du gang.