Ah, les souvenirs… On les imprime, on les accumule, on s’y perd de temps à autre. Ils construisent notre image du passé, ce passé qui nous accompagne toujours, que l’on veut parfois oublier, mais qu’on a aussi parfois peur d’oublier. Dans La Belle Époque, les souvenirs sont plus vrais que nature. Mais jusqu’à quel point peut-on vivre avec nos souvenirs ?
Victor n’est pas heureux dans son époque. Trop virtuelle, superficielle, à l’affût des nouvelles technologies quand il cherche l’authenticité, la simplicité, à rester dans un monde à l’image de celui dans lequel il a grandi. En plus, son couple bat de l’aile, lui devenant de moins en moins compatible avec une femme en quête de modernité, cherchant à rester dans le coup, quand Victor fait, à ses yeux, du surplace, ce qu’elle ne peut supporter. Alors que toute forme de communication entre eux et, de manière plus large, entre Victor et le monde, semble rompue, il fait ce que nous avons à peu près tous le réflexe de faire dans ce genre de situation : nous réfugier dans notre passé et nos souvenirs, dans quelque chose de familier.
Ce passé, on le matérialise grâce à notre mémoire et à notre conscience. C’est une somme d’impressions et de sensations qui a tendance à perturber notre perception, mais qui n’est que fugace, imaginée. Dans La Belle Époque, tout est matérialisé grâce à des décors et des acteurs, c’est comme un film dont on est le héros. C’est l’une des premières bonnes idées du film, qui transpose le retour au passé dans une mise en scène oscillant entre le théâtre et le cinéma. En procédant ainsi, le film rend les souvenirs palpables, ils sont ancrés dans la réalité, mais ils sont aussi fantasmés, approximatifs et ils sont le fruit d’une mise en scène orchestrée par notre propre mémoire. En effet, à cause de l’altération naturelle à laquelle ils sont soumis, nos souvenirs sont toujours différents de la réalité de laquelle ils sont issus.
Ainsi, Victor, retrouvant son passé et une forme de joie de vivre, peine à y croire, s’amuse à corriger cette version de son souvenir qui se déroule devant lui. Il se retrouve, et il y retrouve aussi Marianne. Une Marianne fidèle à celle qu’il aimait, dont il est tombé amoureux, et dont il s’éprend petit à petit. Mais n’est-il pas en train de tomber dans le piège du passéisme et de la nostalgie en s’enfermant dans ses souvenirs ? Car ce que La Belle Époque montre aussi, c’est que si le passé peut être un refuge, il ne doit pas devenir une prison. Et que s’il peut nous être réconfortant, il peut aussi être (trop) fantasmé, il peut altérer notre propre réalité, et nous plonger dans une mélancolie parfois dangereuse. Sur ce point, La Belle Époque s’avère également très judicieux, croisant les intrigues et les destins, brouillant les pistes en rendant de plus en plus incertaine la frontière entre ce qui est réel et ce qui est mis en scène. L’équilibre est alors trouvé, pour faire du passé ce tremplin parfois nécessaire dans la compréhension du présent, et, surtout, pour rappeler que rien n’est immuable.
La Belle Époque confirme les espoirs misés sur lui, grâce à une écriture intelligente, une idée intéressante, et des acteurs à la hauteur, avec un Daniel Auteuil très touchant en tête. C’est une manière pertinente de raconter nos liens avec le passé, le temps qui passe, l’idéal et la réalité. On s’attache, on s’égare, on s’imagine ce que nous ferions à la place de Victor, on réfléchit sur notre passé… Un beau film, très bien pensé.
Critique écrite pour A la rencontre du Septième Art