Voilà un film que l'on peut divulgâcher sans scrupules, car tout va se dérouler exactement comme on l'attendait.
Soit deux couples, un jeune et un vieux :
- le vieux couple, par lequel commence le film, se compose de deux caricatures : le papy ronchon qui déteste tout ce qui a trait à notre époque, et la branchée hystérique qui fait tout pour rester dans le coup (pourquoi ? mais pour se sentir jeune bien sûr ! d'ailleurs à la fin, nous aurons cette magnifique révélation : si elle le martyrisait, c'est en fait elle-même qu'elle détestait ! quelle idée profonde...) ;
- le jeune couple, entre deux coïts et autres "pipes", se vanne sans arrêt : deux belles personnes trop orgueilleuses pour s'avouer leurs sentiments.
Eh bien, je vous le donne en mille : ces deux heures de comédie vont leur permettre de se (re)trouver enfin. Un scénario tellement rebattu qu'on se demande comment une telle chose a pu susciter autant d'enthousiasme, de nomination aux Oscars et à Cannes. Pour faire bonne mesure, Nicolas Bedos a ajouté un amant à Marianne (Denys Podalydès) qui, bien sûr, va vite s'avérer décevant et finalement tellement moins bien que le mari... D'ailleurs c'est simple : il ronfle.
Il faut reconnaître au film une cohérence : à pitch banal, réalisation banale. Montage nerveux bien dans l'époque pour le coup (Belà Tarr !! reviens !), cadrage convenu, aucun parti pris esthétique. Une débauche de moyens (le film a dû coûter cher) pour très, très peu de cinéma. J'avais déjà ressenti cela pour le très surcoté Alice et le maire. Déjà j'enrageais qu'on donne autant de moyens à des non-cinéastes alors que tant d'artistes, dotés d'une vision, n'auront jamais un centime...
Mais bon, prenons cela pour un divertissement, situons-nous au niveau du blockbuster.
Ce divertissement est-il drôle ? Pas vraiment car il accumule trop les clichés. A commencer par la reconstitution de l'année 74 d'ailleurs : les lieux enfumés, l'amour libre, la drogue, les DS, les oeufs sur le comptoir... C'était inévitable, inscrit dans le projet lui-même.
Pour (me) faire rire, il faut (me) surprendre. C'est ce que parvient à faire un Quentin Dupieux par exemple. Ici, cela n'arrive qu'une fois : lorsque Marianne parle à Victor au volant de sa voiture de longues secondes sans regarder la route. Je me dis : "encore un film qui tombe dans cette invraisemblance !" Victor lui lance "regarde la route", elle lui répond "pas la peine, c'est une Tesla, ça se conduit tout seul !". Bien vu. Pour le reste, sur les dizaines de répliques destinées à faire mouche, certaines ont atteint leur but, mais assez peu, il faut bien l'avouer. Pour (me) faire rire, il faut souvent aussi être féroce. Or, ce film est gentiment consensuel, à l'image de l'humour du papa de Nicolas d'ailleurs - moi je suis plutôt Desproges. J'ai lu sur SC un rapprochement avec le Blier des débuts ? Celui-ci était autrement plus subversif.
Ce divertissement est-il émouvant ? Pas d'avantage. Aucun personnage n'étant sympathique, à l'exception peut-être de Victor (mais il est tellement alourdi par une montagne de clichés... jusqu'à tomber amoureux de Margot bien sûr), on ne peut pas être ému lorsqu'ils se trouvent ou se retrouvent enfin. Et ce, malgré la belle tirade dans le bistrot de Fanny Ardant qui parvient, un instant, performance de poids, à donner un peu de hauteur au film. Franchement, la scène d'étreinte d'Antoine et Margot dans la rue, c'est à la limite du ridicule, non ?
Mais peut-être Nicolas Bedos a-t-il eu l'ambition de nous faire réfléchir avec cette Belle époque. Et là, le bilan est encore plus affligeant qu'en ce qui concerne l'humour. Car la morale portée par le film est d'une niaiserie sans nom : il ne faut pas courir après le passé (Victor) ni s'évader dans le futur (Marianne), il faut voir la beauté des êtres que l'on aime, au présent. On sent le philosophe de haut vol.
A moins que Nicolas Bedos n'ait eu pour seul objectif de nous montrer à quel point sa femme à la ville est... belle. Ce film ressemble à une déclaration d'amour. Hélas très platement formulée. D'ailleurs, la beauté d'une femme se résume-t-elle à la longueur de ses jambes et à la finesse de sa taille ? Le débat est ouvert.
Ainsi lesté de tant de handicaps, le film accumule les scènes embarrassantes, et on lève les yeux au ciel plus souvent qu'à son tour. L'un des sommets est atteint lors de la première rencontre entre la fausse Marianne et Victor, au café. Antoine qui lui parle dans l'oreillette, Margot qui lui répond, créant un quiproquo... Du Marivaux ? Du très mauvais alors. Il ne suffit pas de choisir comme prénom Marianne pour faire du Marivaux... Un autre sommet est la scène du dîner où Marianne, personnage décidément exaspérant, plante tout le monde, le "tout le monde" ayant bien sûr débité des banalités tout au long de la soirée. Cruel ? Non, surfait et consensuel. Luc Besson, par exemple, a fait ça dans Subway il y a... 35 ans. C'est dire.
Alors le film a certainement des qualités, je le reconnais en lisant sur SC des avis bien argumentés. Simplement, parfois, les éléments accablants s'accumulent tellement qu'ils prennent le pas sur tout le reste. La critique reste un art subjectif, je ne perds pas cela de vue... Alors, pour finir sur une appréciation personnelle : ce film aura au moins eu une mérite, celui de me faire réentendre deux fois en intégralité le superbe The Man I Love de Billie Holiday et Lester Young (c'est la chanson en fond, déclenchée par le juke box, lors de la rencontre entre Victor et Marianne). Du grand art, qui ne fait que mettre en valeur, cruellement, l'indigence de ce qu'il y a à l'écran. Ah, la belle époque, qui place naïvement le sublime en musique de fond, à peine audible !...