J'avais déjà beaucoup apprécié le premier film de Nicolas Bedos Monsieur et Madame Adelman, l'une des meilleures comédie romantique française de ces dernières années, mais avec La Belle Époque celui-ci fait encore mieux. Le concept ici est bien trouvé, il amène et distille de l'émotion tout en apportant une réflexion, à la fois sur le cinéma et sur la nostalgie amoureuse.
Victor (Daniel Auteuil) est un septuagénaire nostalgique de la vie, un blasé, un aigris ... un "vieux con", quoi ! Il ne comprend pas les nouvelles technologies, est dépassé par le monde dans lequel il vit et surtout, il ne s'entend plus avec sa femme Marianne (Fanny Ardant). Résultat, sa femme le trompe avec son meilleur ami psychanalyste François (Denis Podalydès) et finit par le quitter ou plutôt, le foutre dehors. Mais voilà que son fils lui offre un séjour dans un monde "préfabriqué" où il est possible de revivre des époques passées. Il demande alors à cette entreprise "théâtrale", qui lui propose de revivre l'époque de son choix, de retourner en 1974, au jour où il rencontra sa femme Marianne à Lyon, dans un bar sobrement appelé La Belle Époque (d'où le titre du film). Cette version de Marianne "plus jeune" sera jouée par une actrice Doria Tillier (la compagne de Nicolas Bedos dans la vraie vie) qui a pour compagnon le réalisateur/scénariste Antoine (Guillaume Canet dans le film) qui est à la tête de cette entreprise de fabrication des époques et souvenirs passés.
Tout d'abord, il faut dire que j'adore ce genre de films qui jouent avec la perception du spectateur, entre fiction et réalité. C'est donc un "film dans le film" avec plusieurs histoires qui vont s'entremêler dans une fiction à l'intérieur même du film et sachant que nous même, nous spectateurs, nous regardons une fiction. C'est une véritable mise en abime et si nous ne faisons pas suffisamment attention au moindre détail, on s'y perd très vite entre ce qui appartient à la fiction ou à la réalité. Ainsi, il y a des personnages dans le film, qui apparaissent en même temps dans la vie réelle et qui jouent dans la fiction. Or, ces personnages là, comme Daniel Auteuil et Doria Tillier, semblent susciter des émotions plus réelles dans la fiction que dans la vie réelle.
Pour revenir au thème central du film, ce n'est pas à proprement parler un film sur la nostalgie, mais plutôt sur une incompréhension ou un manque de communication dans notre société actuelle. C'est pourquoi Victor choisit de revenir à une époque passée où il arrivait encore à communiquer avec sa femme. C'est un film qui oppose le présent (les relations virtuelles) et le passé (les relations authentiques). La scène qui, me semble-il, illustre au mieux cette idée, c'est celle lorsque la Marianne du présent porte un casque virtuel, alors qu'elle est au lit avec son amant.
Par conséquent, je ne sais pas si on doit vraiment parler de nostalgie ici. J'ai plutôt l'impression que Victor veut revivre son passé pour comprendre ce qu'il a perdu, pour apprendre de ses erreurs. Daniel Auteuil est d'ailleurs excellent dans ce genre de rôle complexe et si subtil, avec en trame de fond une réflexion sur l'acceptation ou non de vieillir. J'ai également adoré La Belle Époque pour ses dialogues absolument jubilatoires (certes, parfois un peu grossiers). Je ne compte plus les punchlines, ça fuse dans tous les sens. Je pense notamment à celle prononcée par Fanny Ardant à son mari "En fait, tu sais quoi Victor ? Je crois que tu es vivant depuis trop longtemps"
Les acteurs sont tous excellents, à commencer par la sublime Dora Tillier. Les années 70 lui vont comme un gant. Daniel Auteuil est juste exceptionnel, au-dessus c'est le soleil. Quant à Fanny Ardent, elle est rayonnante à plus de 70 ans et ça faisait longtemps qu'on ne lui avait pas offert un si beau rôle. Guillaume Canet quant à lui nous fait du Guillaume Canet. Pendant un bon moment, j'étais persuadé que le film allait jouer la carte de la jeune comédienne qui tombe amoureuse du vieux grincheux avec toutes les valeurs et qualités d'antan, pour terminer sur une compétition 1974 versus 2019. Que nenni, Doria Tillier retombe dans les bras du "parfait connard" manipulateur, sans trop savoir pourquoi ... dommage ! J'ai l'impression que Nicolas Bedos n'a pas été jusqu'au bout de son concept, même si c'est un bien faible reproche comparé aux innombrables qualités du long métrage.
Nicolas Bedos (aka le parfait donneur de leçons) m'a parfois agacé pour ses prises de position politiques et ses propos polémiques, du temps où il était chroniqueur chez Ruquier, mais tout ça ... c'est du passé. Lui qui vient du théâtre, il est passé au cinéma et il démontre un vrai talent d'écriture. On sent l'empreinte théâtrale dans l'écriture des dialogues et dans l'esprit dramaturgique de son récit. Il démontre également un sens certain pour la mise en scène, alors que lui-même est un peu un autodidacte du cinéma.
Aprés seulement deux films, c'est assez remarque de voir là où il en est arrivé. C'est que le bonhomme a du génie et démontre que l'on peut encore faire du très bon cinéma en France, à condition de se donner les moyens et poussé par la passion ... et son enthousiasme, elle est sacrément communicative. Et puis c'est aussi un très bon directeur d'acteur, comme il le prouve ici avec les deux monstres sacrés que sont Fanny Ardant et Daniel Auteuil. Toutes les scènes qui les réunissent à l'écran sont fabuleuses, chacun est à sa juste place, sans prendre le pas l'une sur l'autre. Et bon sang, les dialogues sont un pur bonheur, des répliques bien écrites, bien tournées, bien amenées qui ont eu le mérite de ravir le fan de Woody Allen que je suis.
Non vraiment, Nicolas Bedos relève clairement le niveau et on pense ce que l'on veut de lui, mais c'est quelqu'un de très intelligent et de très érudit. C'est un auteur qui raconte des histoires originales comme, hélas, on en voit plus beaucoup aujourd'hui. Enfin une belle proposition de film français qui ne tire pas lourdement sur la comédie ou sur le drame le plus absolu, mais qui au contraire trouve le juste milieu.
Bref, La Belle Époque c'est un film drôle, dynamique, très touchant et qui implique le spectateur dans son histoire. Pas mal d'entre nous (et donc moi y compris) vont penser à une ou des époques, qu'ils voudraient vivre ou revivre grâce à cette entreprise qui vend du rêve. Aprés, j'imagine que ça puisse déjà exister pour de vrai, peut-être dans des cercles privés et aisés, avec des gens qui souhaitent, comme on le voit dans le film, incarner Ernest Hemingway ou Adolf Hitler.