En 1936, année de la reconnaissance ouvrière par l'obtention grâce au Front Populaire des congés payés, Julien Duvivier refuse le drame proposé par Renoir sur des soldats français faits prisonniers par des Allemands durant la Première Guerre Mondiale (ce qui deviendra l'immense La Grande Illusion) pour lui préférer cette ode à l'amitié, à la fraternité prolétaire et cette tranche de vie heureuse.
Le succès commercial lui échappera au profit de l'autre.
Et pourtant, cette Belle Equipe est un véritable bonheur cinématographique où l'on encense le populaire, où l'on triche à la machine attrape-jouet sur fond de Marseillaise, où l'on vire à coup de pied dans le derrière le nantis venant profiter de ses parts obtenues, certes légalement, mais avec immoralité, et où l'on préfère chanter, danser en communion, autour d'un projet commun, un "chez nous".
Cinq camarades liés par une amitié qui dépassera les frontière et la mort, se retrouvent grands gagnants de la loterie et en profitent pour acheter une ruine, la retaper et faire sortir de terre un petit coin de paradis, une guinguette.
La Belle Equipe c'est donc le film de potes ultime, qui n'a vu probablement pas mieux depuis pourtant plus quatre vingt dix ans, un film qui procure un bonheur fou et qui sonne par son idée de départ toujours aussi contemporain. N'a-t-on jamais, au détour d'un apéro, envisagé, voire promis, d'ouvrir un lieu avec ses amis, un bar, une discothèque, un lieu alternatif ? La Belle Equipe se charge dans la bonne humeur de mettre ce rêve à exécution, incarnant ces amis par des acteurs drôles et touchants (Gabin et Vanel en tête évidemment) autour desquels gravitent de délicieux seconds rôles (notamment l'excellente Viviane Romance). On sera bercé par des scènes de fêtes et de joie mémorables, où le rire efface instantanément les tensions, où l'on trinque à la santé d'un rien, où l'on s'offre des cadeaux, où l'on danse et l'on chante en chœur au rythme de l'accordéon.
Et pourtant, si l'on est dans une année heureuse, peut-être l'une des dernières véritablement innocente (la guerre mondiale n'est alors pas pensée comme la première, la gauche est au pouvoir, la crise économique est derrière nous, la montée du nazisme encore trop éloignée pour être véritablement inquiétante), le film demeure plombé d'emblée par une tristesse morne et des indices qui annoncent la collision brutale du rêve sur la réalité ; la police est toujours là, le capitalisme déroule son tapis et ses règles absurdes, et, surtout, l'amour crée des tensions.
La Belle Equipe se transforme subtilement en drame, se faisant le récit annoncé d'un raté, d'une déception, couvant en lui une triste morale.
A l'origine le film était écrit par Julien Duvivier et Charles Spaak pour se clore de manière tragique. Les producteurs imposèrent pourtant une fin heureuse, qui fut la seule diffusée pendant des décennies. Aujourd'hui que l'on découvre le film, magnifiquement remasterisé, dans sa version voulue par ses auteurs (et défendue par leurs proches), avec sa fin défaitiste, il semble bien évident que le pessimisme qui se dégage imperceptiblement et tout du long du film est la réponse la plus adaptée à ce film dont on ressort malgré tout heureux, mais avec un sourire amer, et ému.
"C'était une belle idée"