Comme je venais de lire le conte "la Belle et la Bête" de Mme Leprince de Beaumont, je me suis dit qu'il était temps de revoir le film de Cocteau qui s'en est inspiré …
On connait tous, bien entendu, l'histoire qui recommande de ne pas se fier aux apparences et que derrière la laideur, on peut trouver la bonté et l'honnêteté. C'était le message principal du conte d'origine. Évidemment, c'était un peu trop simple pour Jean Cocteau qui introduit un personnage supplémentaire avec Avenant, homme sympathique et avenant (!) qui cache une âme noire et malveillante. Donc il ne faut pas se fier aux apparences, dans les deux sens … Là où ça se complique ou c'est plutôt un coup génial de Cocteau, c'est qu'il fait jouer le rôle d'Avenant, de la Bête et du Prince par le même Jean Marais. Du coup, on dépasse le concept de conte de fées exclusivement réservé aux enfants … Parce qu'il faut bien avouer que la décision de Cocteau d'utiliser le même acteur pour interpréter les rôles d'Avenant et du prince est sacrément troublante …
Mais ceci n'est pas l'essentiel de ce film dont la mise en scène est absolument inoubliable. Et comme le film a complètement été remastérisé, les images sont d'une netteté incroyable. C'était (d'après le bonus du DVD) la volonté expresse de Cocteau de faire un conte de fée dans une vie parfaitement réelle, voire banale avec des dialogues ordinaires. On est dans le rêve debout, dans le rêve parfaitement éveillé. Pas de brumes vaporeuses ici qui fasse apparaître des personnages surnaturels.
"Vous volez mes roses qui sont ce que j'aime le mieux au monde"
Alors que le père a passé la nuit dans un château dont il n'a pas vu le maître et qu'il cueille une rose (pour Belle) avant de partir, cette phrase brutale introduit le monstre dans toute sa splendeur et sa puissance. La Bête domine le père, l'homme … Le spectateur est exactement là où Cocteau voulait qu'il soit : dans un conte mais où il pourrait parfaitement se trouver. Il le précise au début du film où il explique dans un encart qu'il veut que le spectateur retrouve son âme enfantine et sa naïveté, qu'il veuille bien croire ce qu'on lui raconte. Le "il était une fois" devient le mot de passe pour admettre une histoire qui s'est peut-être déjà produite, une histoire réelle. Afin de ne trouver aucun obstacle pour pénétrer dans ce film.
Et je trouve que ça marche bien.
Le film regorge de petits détails qu'on retrouve dans les décors que ce soit au village ou au château. Mais c'est le travail extraordinaire de Christian Bérard le décorateur et costumier qu'il faut souligner dans ce film notamment pour les costume et masque de la Bête où il fallait plusieurs heures chaque jour pour le mettre en place sur le visage de Jean Marais.
La distribution est aussi excellente. Je ne reviens pas sur Jean Marais, incontournable comme souvent chez Cocteau, ici, surtout mémorable dans son rôle de la Bête. Josette Day est magnifique et est en parfaite opposition avec ses deux sœurs, sortes de pimbêches jalouses et malveillantes. De plus son jeu légèrement transgressif est délicieux. Michel Auclair dans le rôle du frère facétieux avec finalement un assez bon fond amène la touche de comique réaliste et terre à terre au conte surtout quand il ne peut s'empêcher de se moquer des deux sœurs prétentieuses.
"Le diable vous éclabousse et vous couvre de crotte"
Oui, au final, c'est un film intemporel qui est devenu une pièce maîtresse du paysage cinématographique français, qu'on peut voir et revoir sans se lasser.