Par-delà l’argumentaire de la nostalgie, ici prégnant, La Belle et le Clochard est à bien des égards un objet cinématographique intriguant : puisant sa source dans une nouvelle datant de 1937, le projet se distingue de ses aînés (adaptations plus ou moins « strictes » d’œuvres littéraires) en raison de son long développement sous le giron de Disney, lui assurant par voie de fait une certaine unicité à sa sortie.
De surcroît, son visionnage confirme le regain de forme du studio aux grandes oreilles, qui dans le sillage d’un Peter Pan excellent avait pourtant mis la barre très haut : sans réitérer pareille réussite, La Belle et le Clochard brille avant tout de par ses caractéristiques techniques, alors novatrices, au service d’un vernis graphique et d’un jeu d’ambiances exquis. Notoirement connu pour son usage du CinemaScope, nombre de points égayent ainsi la superbe signature formelle du film : l’animation de sa galerie canine fait montre d’un souci du détail confondant, la richesse de ses décors favorise pleinement l’immersion, tandis que la rétine se voit imprégnée de quelques plans hautement inspirés.
La représentation des éléments à l’écran y joue pour beaucoup (une simple bourrasque de neige suffit à nous renvoyer dans nos couches d’antan), notamment au fil de séquences nocturnes primordiales : il serait en ce sens judicieux de se projeter plus en avant dans le récit, alors que Clochard s’élance à la poursuite de ce damné rat. Sous couvert d’une météo tumultueuse, l’antichambre de l’âpre combat à venir se mue en une peinture saisissante, fruit d’un éclair déchirant soudainement la relative quiétude des lieux ; l’implacable violence à l’œuvre préfigurait qui plus est de la confrontation s’ensuivant, elle-même empreinte d’une férocité à l’aune de la bestialité de ses protagonistes.
Non content d’être irréprochable dans sa plastique, La Belle et le Clochard se paye donc le luxe d’incarner une véritable « proposition » visuelle, bien épaulée par une bande-son aux petits oignons : toutefois, l’absence de musiques (à mon regard) véritablement cultes souligne les limites d’une intrigue, quant à elle, efficace sans éclats. Pris dans sa globalité, cette dernière assure pourtant un savant mélange entre romance attendrissante et toile de fond ayant trait à un choc des classes, néanmoins très binaire dans son exécution : rien de rédhibitoire à l’échelle d’un long-métrage à destination d’un jeune public, mais le fait est que ce premier angle d’analyse démontre d’un approfondissement en berne.
En guise de dénouement, Clochard va ainsi troquer sa liberté chérie sans rechigner ni légitimer, au fond, un tel revirement. Le seul argument de l’amourette n’a de place que de par le prisme simplifié du film, mais dans ce cas pourquoi s’être permis l’évocation (marquante) de l’euthanasie dans le cadre de la fourrière, un état de fait dénotant en comparaison de la teneur ravissante de son happy-end ? Au même titre que l’accident de César, présenté sous un angle résolument dramatique, il y avait clairement matière à faire de La Belle et le Clochard un chef d’œuvre d’animation outrepassant une unique verve magique.
Il convient à présent d’aborder le traitement des antagonismes, en l’état révélateurs d’un potentiel exploité partiellement : la brève apparition de Si et Am abonde en ce sens, le tandem diabolique incarnant parfaitement l’osmose entre une grâce du mouvement (l’animation y fait des merveilles) et une atmosphère musicale entêtante (la seule qui me revienne d’ailleurs à l’écriture de ces lignes), de quoi laisser penser qu’il y avait davantage à faire ; dans une autre veine, la représentation sous un angle sciemment nuisible, et même dangereux, du rat conforte une lecture on ne peut plus binaire.
Enfin vient le cas des rapports humains/animaux rythmant en partie le déroulé de La Belle et le Clochard : sur ce point, celui-ci fait mine d’égrainer au fil de son introduction les contours d’une symbolique patente, seul le visage de Darling apparaissant à l’écran tandis que Jim, d’abord présenté sous un angle répresseur, n’était pas clairement personnifié. L’acceptation de Lady au sein de la chambre à coucher y remédiera, comme si l’atténuation de la domination du maître se corrélait à sa propre représentation, plus explicite et sympathique ; toutefois, la figure pourtant nuancée de Tante Sarah va balayer le supposé process en mimant la précédente évolution de Jim… mais sans s’être distinguée au préalable, celle-ci s’en tenant à un rôle d’élément perturbateur inflexible.
Au risque de tergiverser vainement, La Belle et le Clochard m’aura donc laissé sur ma faim tout en constituant un divertissement on ne peut plus plaisant : certes facile quant à sa narration, la simplicité de ses ressorts sert au mieux les tribulations de canidés suscitant aisément l’empathie, bien que l’on réservera un traitement de faveur à ce cabotin de Clochard, dont le phrasé cynique compensera de bout en bout la nature plus convenue de Lady (ses comparses César et Jock sont eux usés à très bon escient). De par son sous-texte riche mais partiel, le film constitue donc envers et contre tout un nouveau chef d’œuvre des studios d’animation Disney, et il va sans dire que l’on ne boude en aucune façon notre plaisir car, in fine, on en revient toujours à ce sacré argumentaire nostalgique.