Faut s’imaginer être lesbienne et paysanne dans le Limousin dans les années 70, genre le truc pas spécialement évident à gérer. Et puis c’est l’époque où tout commence (un peu) à changer, à bouillir dans les chaumières ; 68 est passé, mais ça bout encore. C’est l’époque d’un féminisme pétaradant prônant l’émancipation, l’avortement et la pilule, et le droit à jouir de son propre corps. C’est l’époque de la vie dure à la campagne et à la ferme avec mariages limite arrangés, salaire réservé aux hommes, ambiance invariablement patriarcale… Voilà pour le quotidien de Delphine, jeune agricultrice qui, en montant à Paris, découvre soudain qu’une autre vie est envisageable en dehors du foin et des vaches, et puis l’amour aussi avec Carole, professeur d’espagnol et militante enflammée (et déjà en couple avec un homme).
Le nouveau film de l’inégale Catherine Corsini (La nouvelle Ève et La répétition pour le meilleur, Partir et Trois mondes pour le pire), au contraire de ses deux héroïnes cherchant à briser les carcans sociaux et amoureux, s’enferme dans un pâle formalisme qui vient contrarier ses intentions et sa bonne volonté et dont la seule vraie audace serait, en ayant les idées mal placées, d’exhiber Cécile de France et Izïa Higelin sous toutes les coutures et dans toutes les positions. La belle saison, enjoué et radieux (très belle photographie de Jeanne Lapoirie), manque de fièvre, de folie, de passion, et même de liberté, le comble pour un film parlant d’indépendance et d’émancipation sexuelle.
De fait, La belle saison vaut surtout pour ses deux actrices, investies et lumineuses. Elles sont l’essence d’une alchimie sensible perdue au milieu d’un scénario rebattu (habituels moments-clés inhérents à toute relation de ce genre : comment le dire au mari, comment le dire aux parents, le regard des autres, la découverte de la vérité…) que vient rehausser, à peine, une fin romanesque empruntant à celle de Sur la route de Madison (montera-t-elle dans le train ? Suivra-t-elle son cœur ?). En l’état donc, un joli téléfilm qu’on dirait adoubé par le service public et qui, en filigrane d’une histoire d’amour impossible, donne ce sentiment étrange que pas grand-chose n’a finalement évolué depuis 40 ans en termes de préjugés, de tolérance et de libération des mœurs.
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