La Bête
6.3
La Bête

Film de Bertrand Bonello (2023)

Un couteau retourné dans la plaie de l'époque qui ne fait l'amour que dans ses rêves.

Bertrand Bonello a bien vu : quand est ce qu'on va pouvoir s'aimer ? Le progrès et les sciences avancent, les machines continuent d'arriver, on a déjà construit tout un monde pour les voitures, alors on imagine bien un monde pour les robots intelligents : mais nous dans tout ça ?

Parce que de toutes les époques, de toutes les versions d'eux même, c'est maintenant et dans quelques années qu'ils sont les pires, les moins humains et les plus bêtes !

Au début je me suis senti un peu envahi, c'est peut-être que je n'étais pas familier avec le style de Bonello. Même si j'ai aimé la petite intro, avec le petit glitch là : ça aussi des choses de l'époque, ça me plait. Maintenant, une fois la tram lancée, et la référence à l'année dernière à marienbad lourdement reçue, c'était un peu barbant pour ma part. J'avais les yeux posé sur Léa Seydoux en attendant la suite.

La suite ce sont les changements de vie, littéralement, auxquelles Gabrielle est plus ou moins soumise par une autorité robotique supérieure, visant à "purifier son adn", si j'ai bien compris. C'est pas évident à comprendre au début je trouve, mais une fois qu'on saisit la suite des évènements et qu'on situe bien les changements d'époques, le film prend tout de suite une autre tournure. Le regard à moitié absent devient joueur et essaie de saisir l'unité poussée par le réalisateur, et qui se trouve éparpillée dans toutes les vies représentées à Gabrielle.

Ce jeu que mène Bonello tout au long du film vise finalement à montrer un amour qui n'est jamais possible, mais toujours pour des raisons bien différentes et surtout : d'époque !

Bonello, si je comprends bien, montre comment à travers les époques, la peur d'aimer pousse les individus à "dégénérer", quitte à se détourner de l'amour de leur vie ! C'est un peu un Roméo et Juliette revu par un œil cynique, et pour qui la représentation dans une époque ne suffit pas : les décors, les costumes, les références, les manières de parler, etc. tout est tellement bien réussi. Au delà de ça, Bonello prend de bons exemples je crois : la misère de notre époque, les paria du relationnel d'aujourd'hui, les fameux "incels"... Ces gens là alors, les déchets d'une époque qui pourrie, qui est de moins en moins humaine, de plus en plus individualiste, etc. Mais, qui possède encore les restants de valeurs du passé, font notre Roméo d'aujourd'hui, Louis Lewanski, un puceau de 30 ans, beau gosse soigné, grosse voiture, petite paire de lunette de luxe, la totale. Selon lui il "mérite" par conséquent de baiser de belles blondes, comme dans l'bon vieux temps. Il se heurte pourtant à une dure réalité : ce genre d'affaires ne marchent pas comme ça. Pour illustrer ça, Bonello créer un évident parallèle entre son Louis Lewanski et un cas célèbre d'incel, celui d'Elliot Rodger.

Alors on se demande après environ 2h de film : Mais ou-va-t-on avec cette société de merde individualiste avec des hommes puants violents etc., mais qui continue en même temps sa course aveugle dans au progrès ? En réponse, et parce que notre période scientifique se meut dans un monde où le langage a perdu son pouvoir, et qu'il est dans la nature même de toute bureaucratie, de transformer les hommes en fonctionnaires, en simples rouages de la machine administrative et ainsi les déshumaniser, l'amoureux du futur, notre Roméo en puissance Louis Lewanski, c'est un inconnu à lui même. Un individu "purifié" par une bureaucratie parfaitement huilée par les intelligences artificielles, qui est alors, comme l'étranger de Camus, pas plus que content d'être aimé, et étant lui parfaitement incapable d'éprouver le moindre sentiment profond.

Le film m'a particulièrement touché je crois parce que dans un premier temps, les vieux avec moi dans la salle n'ont pas aimé, ce qui montre qu'ils sont complétement dépassés par les évènements les pauvres. Mais dans un second temps, parce que malgré tout, je suis allé voir le film tout seul, et que moi aussi je baise que dans mes rêves...

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le 28 avr. 2024

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