Dès après avoir vu le film, je me suis dit qu'il fallait que je le revois. Il est très intellectualisé et un seul visionnage ne me permet pas de le comprendre dans sa totalité.
Néanmoins, je peux déjà dire que c'est un film très intéressant si vous aimez réfléchir.
Tout d'abord, parce que c'est un cinéma subjectiviste (on montre la réalité perçue par les personnages et pas la réalité objective). Si le cinéma peut montrer des univers imaginaires, il peut aussi montrer une réalité vécue, produit du mélange entre le conscient et l'inconscient des personnages. On pourrait parler ici de surréalisme qui emprunte ce paradigme aux débuts de la psychanalyse. C'est alors à travers les yeux de Gabrielle qu'on voyage dans l'expérience psychique qu'elle vit, dont l'objectif est de supprimer ses émotions.
Ensuite, parce que ce n'est pas une narration linéaire. On voit que Bonello emprunte à David Lynch à ce sujet, lui qui est habitué à la circularité narrative. J'ai pu voir Lost highway il n'y a pas longtemps et je le retrouve beaucoup dans ce film (qui reste un cran en dessous), notamment en 2014 avec des flashs de retour en arrière et de changements de dénouement de la scène qu'on vient de voir. Cela rend la narration plus floue et colle mieux à la réalité subjective que vit Gabrielle (en traversant les âges afin qu'on lui ôte la souffrance ressentie par ses émotions).
C'est un récit tout en implicite. On ne prend pas le spectateur pour quelqu'un qui ne peut pas réfléchir et à qui on va dicter quand sourire et quand pleurer par des musiques marquées. C'est tout en subtilité.
Seul bémol, lorsqu'ils sont en 2014 ils ne se parlent que très peu ce qui fait qu'on sent leurs jeux plus distants (elle l'a d'ailleurs mentionné dans une interview pour Pathé). Léa Seydoux joue à la perfection cette ambivalence permanente, entre maîtrise de la situation et perte de contrôle sur soi. C'est notamment le cas en 1910 (je pense que c'est car elle incarne un rôle de bourgeoise qui se rapproche d'un monde qu'elle côtoie dans la vraie vie et ce depuis l'enfance).
Aussi, la réflexion dystopique et technocritique mise en avant dans le synopsis est très effacée finalement et assez simple en ("bientôt il faudra être comme des ordinateurs et arrêter d'avoir des émotions" dit de manière caricaturale). En revanche, si on se concentre sur la réflexion sur notre humanité, il est intéressant de montrer que l'acceptation de la fin de la souffrance est synonyme de la fin d'aimer, car son amour c'est "la bête" qui la poursuie. Des pensées philosophiques qu'on retrouve chez les stoïciens, le bouddhisme ou dncore Nietzsche, les 2 premiers sont d'ailleurs évoqués ouvertement.
Bref, c'est un grand oui pour moi !
Bonus : la scène de fin avec la musique evergreen est trop belle