Les téléphones blancs, cette époque d'avant-guerre où l'Italie s'oubliait dans un capitalisme joyeux et dopé à la propagande, est devenu une allégorie si forte pour l'art en général qu'on n'y a plus trop touché ensuite, comme un matériau dangereux qu'on aurait étudié avec un intérêt vif mais le plus vite possible. L'ère a aussi remis en cause la place du cinéma dans notre société : est-ce le reflet de ce qu'on est, de ce qu'on veut voir, de ce qui nous fait peur, ou d'autre chose ?
Grâce à une tête d'affiche pour une fois féminine, Agostina Belli, dont les multiples beautés physiques et spirituelles enflammaient l'Italie depuis quelques années déjà, Risi érige une figure duelle qui fait le lien entre deux euphories sociales éphémères : celle de 1937 et celle de 1968. À la fois superficielle et femme forte, Belli catalyse les atouts contradictoires grâce auxquels on pouvait accéder au succès à chacune des deux époques - quoique l'on s'est généralement gardé, dans le premier cas, de faire la comparaison avec le modèle américain. Femme de chambre, prostituée, actrice… Elle naviguera entre les professions avec une telle facilité que tout semblera bizarrement revenir au même, comme si un repère moral s'était brisé quelque part.
Explorant ainsi un étonnant star system mussolinien, Risi développe dans son art une conscience politique marquée qui n'est pas malvenue, et fait vraiment revivre le charme empoisonné des Téléphones Blancs. Après avoir réinventé le concept du personnage dramatique dans Parfum de Femme, c'est la Femme qu'il recrée presqu'incidemment à l'image d'une Cinecittà sulfureuse que le néoréalisme, dans sa désillusion grisâtre, a longtemps laissée dans l'ombre.
Le film se contente de ses deux facettes qu'il s'amuse à simplement alterner, mais elles s'expriment dans la bouillie de séquences entrecroisées d'une manière qui le fait largement prétendre à une complétude analytique, à défaut d'en faire un film de caractère ou une référence historique.
→ Quantième Art