En introduction à ma critique, je pense nécessaire de préciser que le cinéma de Pedro ALMODOVAR ne réveille pas en moi des passions folles. Si j'ai un certain attachement à "Talons aiguilles" et que j'aime beaucoup "La Piel que habito" le reste de ce que j'ai vu dans sa longue filmographie m'a moins emporté, sans jamais avoir passé un mauvais moment et tout en notant ses singularités d'auteur et les identités remarquables de sa réalisation.
J'allais donc découvrir sa dernière proposition à date sans attentes particulières ou craintes d'être déçu.
Il se peut finalement que ce soit son film qui m'ait le plus plu.
Essentiellement porté par les deux actrices, Tilda SWINTON et Julianne MOORE, c'est une réflexion sur la question du droit à une fin de vie digne et choisie, mais qui rapidement va se muer en deux portraits de femmes. Ingrid romancière à succès apprend lors d'une séance de dédicaces qu'une amie qu'elle n'avait pas vue depuis longtemps, Martha, est atteinte d'un cancer incurable et va lors d'une visite auprès d'elle accepter de l'accompagner de façon non interventionniste dans son "suicide".
Face à un tel sujet, aussi propices aux prises de positions idéologiques qu'aux écueils d'un pathos qui alourdirait inutilement le propos, on serait en droit d'avoir des craintes quant au rendu final du film. Toutefois Almodovar parvient à déjouer les deux pièges, d'une part en ne se plaçant jamais dans la position d'un jugement moral quant au choix de la malade ou au rôle de son accompagnatrice. Il constate, expose les faits et les raisons mais se garde bien de nous faire la leçon, chacun reçoit ce qu'il voit et entend et se fait son opinion. Il n'est pas là pour convaincre les défenseurs du droit à l'euthanasie ou pour critiquer ceux qui pour quelques raisons que ce soit s'y opposent. Aucun manichéisme donc, ce qui personnellement m'est apparu comme une force du scénario.
D'autre part, même si le film déborde d'émotions et ne constitue pas la peinture froide d'un acte de mort paradoxalement nourri d'un trop plein de vie, il n'est jamais larmoyant et que ce soit par les dialogues ou la mise en scène qui accompagne ces deux femmes durant ces quelques jours qui vont précéder l'inéluctable, qui on le sait adviendra, le film déborde de positivité.
Comme je le disais plus haut, d'une réflexion sur la fin de vie, le film esquisse in fine deux portraits de femmes, de leurs souvenirs, de leurs regrets, de leurs forces, mais aussi de leurs défauts, des conséquences qu'ont eu sur elles des choix parfois discutables. Elles ont par exemple toutes les deux privilégiées leurs carrières au détriment de leurs familles, mais là encore on ne juge pas, on nous pose des faits. Ces choix sont caractéristiques de volontés pensées et pesées de la part de ces femmes et ne remettent nullement en question l'idée de l'indépendance des femmes. A une époque sombre où s'agitent dans certains cercles, certaines pensées qui voudraient replacer la femme au centre du foyer et comme matrice du besoin de la société de bras corvéables et de chair à canons, nous saurons gré au film de ne pas apporter de l'eau au moulin de ces discours.
Les cinéphiles qui admirent et aiment le cinéma d'Almodovar vont s'y retrouver notamment dans sa gestion des couleurs, car même s'il a tendance à s'assagir sur certains de ses effets, mais cela le sujet du film l'exigeait peut-être, il y a toujours chez le plus international des cinéastes espagnols cette appétence pour les couleurs vives et chaudes. Et tandis que l'ombre de la mort plane tout au long sur le film, celle ci est baignée, y compris dans un environnement hivernal, d'un jeu entre les lumières et les couleurs qui constituent l'une des singularités de Almodovar, cette application à ne pas rendre encore plus triste et morose le sujet grave dont il veut parler. Peut on y voir une filiation avec le mouvement de "la movida" qui marqua la fin du régime franquiste et auquel Almodovar participa grandement ? Certainement et je pense même que cet acte presque militant est une conséquence des souvenirs douloureux de cette sombre époque qu'a connue l'Espagne.
Le film comporte cependant à mon sens une faiblesse, dans le personnage qu'interprète John TURTURRO, qui intervient peut mais qui dans l'acte final et ses conséquences pour Ingrid aura son importance. C'est un personnage qui manque d'épaisseur, je ne saurais pas définir si c'est au niveau du montage que ce personnage a été sacrifié ou si c'est dès son écriture qu'il a été ainsi caractérisé, mais il manque un truc. Un truc difficile à identifier qui fait de ce personnage non pas un personnage, mais une fonction et quand en plus lors d'une intervention il aborde sous la forme d'un monologue des sujets, certes essentiels en dehors de l'univers du film, mais inutiles dans ce dernier, je n'ai pas bien compris l'intérêt narratif de cette tirade très militante.