Le cinéma danois n’est définitivement pas tendre, mais rien de mieux afin de prendre aux tripes : connu pour avoir accouché (entre autre) de Festen, Thomas Vinterberg réitère une performance remuante au moyen de Jagten, long-métrage dramatique en sa qualité de spirale infernale intimiste.
Une descente aux enfers en bonne et due forme, suspendue à un malheureux concours de circonstances : une amourette enfantine éconduite, des images marquant la rétine à la volée et des mots abracadabrantesques… dont l’indicible équivoque prend des proportions dantesques de par la nature de son auteur.
S’il fallait résumer, disons que Jagten s’empare du célèbre adage donnant parole d’évangile à nos chers bambins, si ce n’est que son traitement en tire un tableau pessimiste, déformé et inextricable : le film n’entretenant alors guère de doute quant à la culpabilité de Lucas, il abandonne tous faux-semblants et potentiel twist au profit d’une véritable chasse aux sorcières, à ceci près que le spectateur ne peut que s’investir dans une position vulnérable.
Assujettie à de perverses rumeurs sans garde-fous, dont la véracité tient lieu d’évidence pour ses auteurs, la situation de Lucas prend des envergures folles, et l’on est bien en peine de ne pas s’impliquer corps et âmes à ses côtés : exacerbant à l’envie les soubresauts aveugles d’une communauté se fourvoyant, Jagten joue sur la teneur des réactions pour non pas dresser un tableau en tous points vraisemblable, mais bien au contraire frustrant comme pas deux.
Si l’on pourra donc lui reprocher quelques éclats tirant sur la corde, il n’en reste pas moins que le recul nuance chaque décision, posture etc. ; tout du moins, l’effet recherché par Jagten doit être pleinement atteint tant il indigne, agace, choque - et frustre – tandis que méfiance et défiance cèdent le pas à une cruauté ironique. Par bien des aspects, le film explore ainsi les méandres obscurs des travers humains, lorsque des concepts tels que l’amitié ou la simple présomption d’innocence succombent sans crier gare… et que le proche d’hier endosse finalement le rôle de persécuteur.
Le propre de Jagten n’est également pas de susciter une empathie inconditionnelle, Lucas inspirant, par instant, ombrage au spectateur averti : mais là n’est que le prolongement logique d’une ambiance délétère, où tout un chacun ne saurait comment réagir judicieusement, alors que l’immense Mads Mikkelsen crève en toute retenue l’écran. Par ailleurs, en bon cinéaste expérimenté, Vinterberg sublime le tout au gré d’une signature formelle au cordeau, parfait support d’une atmosphère oppressante ; le casting local, qui ne paye pas de mine dans les grandes lignes, est pour sa part irréprochable en termes de justesse, à l’image d’un Thomas Bo Larsen marquant.
En somme, Jagten emporte aisément notre adhésion silencieuse, soumis que nous sommes à son suffocant récit, et cela quand bien même il ferait ci et là quelques faux pas : car de l’unilatéralité communautaire (à de rares exceptions) à l’usage exagéré de Klara (d’abord orientée insidieusement par Ole, ensuite triturée en tous sens, enfin lors de son dernier face à face avec Lucas), cette pépite danoise ne prétendra pas être hors de tout reproche, loin de là.
Dans sa finalité, Jagten réussit pour le reste à chambouler en profondeur, comme peut en attester le semblant de climax lors de la veillée de Noël, mais aussi sur la longueur : en ce sens, quand bien même celui-ci ferait mine de nous quitter en bons termes, il n’oublie pas de nous signifier dans un ultime souffle le caractère indélébile de la marque affectant Lucas… qu’il soit innocent ou non.