C'est juste moi où ce n'est pas si simple ?
Une ambiance pesante, prenante, on nous emporte dans une de ces petites villes où tout se sait, où les rumeurs gonflent, où l'on préfère accuser avant de réfléchir. Mads Mikkelsen incarne magnifiquement un Lucas que tous accusent - mis à part le spectateur - qui tente comme il le peut de supporter cette accusation, de s'en défaire, de prouver son innocence. L'adulte accusé par l'enfant que l'on veut tant protéger. L'enfant dont la parole devient d'évangile, comme si une enfant ne pouvait pas mentir, comme s'il n'y avait aucune autre explication. Puis l'aveu du mensonge, la rédemption, le pardon - ou pas. Un très beau film, dans lequel il faut se laisser embarquer au rythme des jeux d'enfants et d'adultes, des beuveries et des accusations.
Et pourtant, pour moi, ce n'est pas si évident, pas si simple [ALERTE SPOILS JUSQU'A LA FIN]
On veut tellement vendre au spectateur l'innocence de Lucas qu'elle en devient, pour moi trop évidente, trop facile, trop simple. Je ne doute pas une seule seconde que les accusations secondaires, celles des enfants à qui les parents ont trouvé des "symptômes" d'abus sexuel sans doute exagérés - un cauchemar infantile peut être tellement de choses - ont été inventées, influencées, forgées par le contexte. La preuve d'ailleurs cette histoire de sous-sol qui n'existe pas, une sorte d'inconscient collectif qui voulait tellement avoir peur et accuser qu'il a inventé toute l'histoire.
Oui. Mais Klara, celle qui est à l'origine de toute cette histoire ? Elle n'a pas été influencée par le contexte. Elle a porté cette accusation sans que personne, ni le contexte ne lui mette cette idée en tête. Bien sûr on pensera à cette fabuleuse photo infligée à la fillette par son frère juste avant qu'elle ne commence à parler du "zizi" de Lucas. Oui, c'est peut-être juste ça. Mais vous trouvez normal, vous, qu'une fillette de l'âge de Klara ait ne serait-ce que l'idée d'embrasser Lucas sur la bouche ? On peut penser aux contes de fées, on se doute qu'elle a déjà vu ses parents le faire, mais moi, - comme beaucoup je pense - à cet âge là, les bisous sur la bouche je trouvais ça dégueu. Du coup, on peut se dire que si elle a cette idée, ce n'est pas pour rien. Que c'est déjà arrivé.
C'est comme cette conversation avec Lucas, quand elle vient le voir après l'avoir accusé. On sent l'ambivalence de la fillette envers cet homme. Elle l'aime bien, elle aime bien promener son chien, surtout. Mais même lorsqu'ils sont seuls, alors qu'il est certain que quelque soit la vérité, ils la connaissent tous les deux, elle ne dit pas qu'elle a menti. Elle dit qu'elle ne sait plus. Pire, elle dit qu'il n'y avait peut-être pas que lui. Alors quoi ? La solution ne serait-elle pas dans un abus effectivement subi par la fillette, mais ne venant peut-être pas de Lucas ?
D'ailleurs quand on voit son frère. Celui qui lui montre des photos obscènes, celui qui semble à la fois si distant et tellement là pour elle. Une relation pas si simple entre les deux. Peut-être mon esprit mal tourné. Au moment de la scène dans la neige, j'ai cru qu'il allait se passer quelque chose.
Ou le père. Si prompt à ôter sa confiance à Lucas. Ne serait-ce pas simplement pour se protéger ? Une scène en particulier m'a amenée à cette hypothèse. Quand Klara, vers la fin du film, est à demi endormie dans son lit. Elle voit le chien de Lucas - il est mort depuis c'est donc un rêve - puis une silhouette d'homme. Et elle croit que c'est Lucas, or c'est son père. De là, on peut se dire que dans un état à moitié rêvé, la fillette pourrait avoir cru avoir affaire à Lucas alors que c'était son père qui abusait d'elle. On peut aussi penser que la seule raison rationnelle pour qu'une petite fille s'imagine qu'un homme étranger à sa maison puisse venir à son chevet en pleine nuit est qu'il l'a déjà fait. Auquel cas elle confond son père avec Lucas parce qu'effectivement Lucas est déjà venu. Et je l'accuse à nouveau.
Et cette scène finale. Ce vengeur de la lumière. Evidemment l'interprétation la plus simple est de se dire que c'est n'importe qui, que l'on s'en fiche, d'ailleurs, que c'est une sorte de symbole de la rumeur et de la bêtise des hommes qui ne faiblit jamais.
Mais la silhouette est jeune. Très jeune. Elle me l'a paru, en tous cas. Le fusil ressemble beaucoup à celui que le fils de Lucas a eu quelques heures avant. Et la réaction de Lucas. Ce que l'on lit sur son visage. Il a vu celui qui lui a tiré dessus. Il l'a vu et un instant, il semble s'abandonner au jugement de l'autre. Pourquoi ?
- Peut-être simplement parce qu'il renonce, qu'il s'abandonne au jugement de la connerie des hommes se disant que ce n'est jamais fini.
- Ou parce que c'est son fils, par exemple. Que Lucas a effectivement abusé de Klara, comme il a abusé, lorsqu'il était plus jeune, de son fils. Qu'une fois qu'il en a eu l'occasion, le garçon a voulu se venger.
- Ou parce que c'est le frère de Klara, effectivement coupable, qui sait bien que Lucas n'a rien fait, que Lucas le sait aussi et qui, par peur qu'un jour la vérité se sache, préférant laisser planer le doute malgré le fait que l'homme a été innocenté, désire l'éliminer.
Je ne dis pas que j'ai raison. Je voulais partager ces questions car je lis partout que l'histoire est simple, que l'innocence de Lucas est évidente et pour moi ce n'était pas le cas. Ce ne sont que des hypothèses, parmi lesquelles je n'arrive moi-même pas à choisir. Mais une chose est sûre, pour moi, ce film, au fil des divers indices laissés à droite à gauche, à la lumière de quelques scènes, n'est pas seulement un film sur le mensonge d'une enfant et l'accusation à tort d'un innocent. C'est peut être ça. Ou il est peut-être innocent et elle est peut-être victime quand même. Ou peut-être qu'elle ne ment pas du tout.