La Cible humaine
7.5
La Cible humaine

Film de Henry King (1950)

Les films courts présentent deux avantages. D’une part, échapper à un supplice déjà bien trop long lorsque les images défilant devant les yeux du spectateur sont d’un ennui abyssal. D’autre part, la brièveté d’un film permet également d’en accroître la tension et d’en élever les enjeux : avec moins de temps dédié à la mise en contexte, un film court se doit d’entrer rapidement dans le vif du sujet.


Jimmy Ringo est une légende de l’ouest. Homme au passé trouble, il s’est forgé un nom du bout de son revolver. Impliqué dans d’innombrables batailles, sa rapidité et sa précision, devenues mythiques, lui ont toujours permis de triompher. Mais, à quel prix ! Ringo est devenu un mythe vivant : chaque ville a entendu son nom, tout ce que l’ouest compte de pistoleros connaît son visage, et le moindre cow-boy au sang chaud et à la gâchette facile rêve d’être celui qui battra finalement Ringo l’arme à la main.


Jimmy Ringo est un genre de Lucky Luke : connu, craint et respecté pour son invincibilité en duel, envié et continument ciblé par tous les faux durs qui veulent briller parmi leurs amis. Hélas, Lucky Luke est un personnage de bande-dessinée : lorsqu’on cherche des noises à Ringo, celui-ci est forcé de dégainer le premier, et tue son homme. À trente-cinq ans, celui-ci n’aspire pourtant plus qu’à une paix qui se refuse à lui, et continue à voyager de ville en ville, laissant derrière lui une traînée de cadavres tandis que sa légende ne cesse de grandir.


« The Gunfighter » possède une certaine parenté avec « High Noon » : d’une durée assez courte, le film propose une histoire haletante, où la tension croît avec l’attente d’une fusillade finale, dans une unité de lieu et de temps. Le film se déroule quasiment en temps réel : arrivé en ville à Cayenne, Ringo s’installe au saloon dans une ambiance pesante, tandis que la populace se masse aux fenêtres et attend de voir "la légende" en action.


L’idée initiale du film est largement exploitée durant le film. Jimmy Ringo a atteint le pinacle de sa carrière de tireur d’élite. Il est au sommet de la pyramide alimentaire ; ses dons pour le tir font de lui le meilleur, il le sait, et les autres le savent aussi. En un sens, il ne pourrait rien vouloir de plus. Paradoxalement, sa vie est devenue terriblement plus complexe et triste que celle du tireur anonyme qui n’aspire qu’à un peu de gloire. La moindre porte qui s’ouvre le fait sursauter. Faute de ville dans laquelle s’installer, il est devenu vagabond, fuyant la colère des proches de ceux qu’il tue… pourtant en légitime défense. Ringo le constate lui-même, amèrement : sa vie de pistolero ne lui a même pas apporté de quoi s’offrir une montre décente.


Outre ce questionnement très intéressant sur le statut de "légende vivante", qui s’approche bien plus d’un fardeau que d’un avantage, le film a un caractère qu’on pourrait presque qualifier de "crépusculaire". Il ne s’agit pas d’un western de jeunes ambitieux pleins de rêves, prêts à partir à la conquête de l’ouest. Les personnages principaux sont plus mûrs, plus las et mélancoliques ; regrettant un passé gâché et un futur qui aurait pu être. Le présent se pare quant à lui d’une teinte d’inéluctable : les personnages sentent qu’une fin est proche, que même le plus habile tireur n’a pas d’avenir. Ou bien il fuit et s’adapte, ou bien il meurt.


La brièveté du film et sa capacité à concentrer l’action dans un seul lieu (une ville) lui confèrent ce caractère bouillant qui permet de maintenir la tension et le suspense tout du long. À l’image du bandit que doit amener le train de midi de « High Noon », l’échéance approche aussi pour Ringo, qui tente désespérément de mettre ses affaires en ordre avant de quitter la ville. Le réalisateur réussit parfaitement à capter l’insupportable attente, étouffante, qui bouleverse ce personnage tandis que toute la cité retient son souffle pour le "showdown" final tant attendu. Le plus gros du travail est assuré par les scénaristes – l’écriture du film est exemplaire et son déroulement, sans fausse note – et le metteur en scène. On pourra regretter que les acteurs ne soient pas tout à fait au même niveau ; sans être spécialement mauvais, Gregory Peck n’insuffle toutefois pas assez de vie à son personnage pour le rendre pleinement passionnant. Il réussit, certes, à retranscrire la lassitude qui l’étreint, mais sa passivité confine parfois presque à l’ennui.


« The Gunfighter » est un western original en ce sens qu’il donne à voir la vie d’un personnage "légendaire" après qu’il ait atteint ce statut. Souvent, on s’attache davantage à la construction du héros, qui devient connu après un coup d’éclat, ou bien aux hommes de l’ombre qui préfèrent rester en coulisses et s’effacer, une fois leur besogne effectuée. Le raisonnement sur ce personnage est excellent et parfaitement mené de bout en bout, donnant un film virtuose et passionnant.

Aramis
8
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le 18 nov. 2016

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