Après avoir réveillé les vieilles peurs et la paranoïa de deux géants atomiques dans Point limite, Sidney Lumet s’attaque cette fois-ci à l'injustice perpétrée par le grade et la hiérarchie avec la colline des hommes perdus.
L’arme absolue
Parfois briser le corps et le mental d’un homme peut être si facile. Loin des machines de torture les plus complexes et les plus perfectionnées, Sidney Lumet nous dévoile une nouvelle arme d’une simplicité terrifiante : une colline de dix mètres de haut qui écrase le camp de sa présence inquiétante. Symbole de sadisme, l’ironie veut que les hommes du camp continuent à fournir en sable la colline, source de tous leurs malheurs, afin de la rendre de plus en plus grande et de plus en plus forte. Fierté du commandant et excellent moyen d’assouvir ses pires volontés, plusieurs soldats subiront injustement les sévices de la colline.
Au milieu du camp et dans cette fournaise étouffante, la colline incarne le parfait exemple de l’absurde. Le but de ce camp est pourtant de remettre dans le droit chemin des soldats qui n’ont pas respecté leurs engagements ou se sont adonnés à des actes illégaux. Pourtant, la politique du camp et la colline en guise d’instrument de terreur amènent les représentants du corps militaire à se transformer en tortionnaire sous couvert du droit accordé par l'autorité et le grade. Dans la chaleur, les larmes, la sueur, et la douleur, les soldats escaladent cette colline semblable pour eux à une montagne, tant l’exercice est difficile, et cela même s’ils sont amenés au bord de la mort.
Pourtant, dans toute cette folie commanditée paradoxalement par des représentants de l’ordre et la discipline, la colline dévoile chez ces hommes torturés la bravoure qui se cache en chacun d’eux. Admirablement et malgré cet enfer, les victimes de la colline cochent une à une toutes les cases du parfait soldat. Un esprit de camaraderie, une fraternité, l’entraide. Tous les éléments sont réunis, mais l’aveuglement des exécutants semble incorrigible et leur soif de pouvoir insatiable. Comme pour constater le paradoxe que la propagation du mal ne se réalise pas chez ceux-là même qui venaient pour être corrigés, mais par ceux qui sont censés apporter l’exemple et incarner le bien. A l’instar de fous qui soigneraient des saints-d'esprits, d’athées qui feraient la messe, ou dans le cas présent de tortionnaires qui donnent des leçons de morale et de discipline à de véritables soldats dans l’âme.
Au plus près de la douleur
Au-delà de la symbolique de la colline, le réalisateur Sidney Lumet utilise sa patte artistique avec justesse afin de rendre le cauchemar encore plus insoutenable. La camera s’approche dès que possible des visages dégoulinants des acteurs permettant de véhiculer encore plus d’émotions. En plan serré, les expressions des visages sont faites de grimaces de douleurs, d’épuisement, d’humiliation, tout en étant inondées de sueurs. Les acteurs eux-mêmes miment un large éventail d’émotions diverses qui épouse parfaitement la situation du récit même une fois de retour en cellule. On y décèle la folie qui dévore lentement les esprits les plus faibles, la joie souvent fugace et brève, mais surtout la peur de retourner gravir cette fichue colline. La preuve, s’il en fallait une, que Sidney Lumet est un metteur en scène talentueux qui apportent les meilleures réponses techniques aux enjeux de ses œuvres.
La distribution est salutaire dans son ensemble, même si elle est principalement portée par Sean Connery. Doté d’une âme de leader, son rôle est avant tout d’incarner l’arrogante et tenace opposition face au manque de respect pour l’Homme en général qui suinte dans le camp tout entier. Il s’agit aussi du personnage typique de l’intrigue qui ne mérite aucunement les sévices infligés, mais qui par sa force parvient à se confronter avec héroïsme à la lâcheté de ses tortionnaires et geôliers. En effet, la colline des hommes perdus est un film emblématique du thème de l’injustice. L’injustice par le grade et la hiérarchie, l’injustice raciale, l’injustice dans les inégalités. Le thème en est si bien amené qu’il s’immisce rapidement dans notre esprit et dans notre cœur au point de ressentir une envie irrésistible de contester nous-même face à l’écran tant de mensonges et de lâcheté.
Auprès des soldats torturés, on peut assister à la manière cruelle dont la loi inique du camp brise l’être humain en général. Le film prend ces hommes pour les renier, les rabaisser, les détruire mentalement et physiquement. C’est sans compromis que Sidney Lumet dépeint la violence du camp de redressement et le désespoir de ces hommes perdus.
Un règne de terreur
La colline des hommes perdus dénonce les rouages essentiels d’un système où la discipline se réalise par la peur, la douleur, et l’humiliation. Des méthodes abjectes où le grade permet d’assouvir les pires penchants sadiques tout en conservant une protection par l’autorité militaire.
Dans ce camp, tout est gouverné par la peur. Pour les moins gradés il est impossible de désobéir et de prendre la défense des torturés sous peine de subir des représailles. Pour les torturés eux-mêmes, désobéissance ou non et même en totale soumission, ils ne peuvent pas échapper aux envies sadiques de leurs tortionnaires. Puis cette peur finalement, cette peur continue d'être dans l'obligation d'escalader encore et encore sous l'accablant soleil du désert cette fichue colline meurtrière…