A vrai dire, à ma grande surprise et en dépit de tous mes a-priori, La Couleur des Sentiments est loin d'être mauvais. Au premier abord, La Couleur des Sentiments a pourtant tout pour rebuter, il est vrai. Tout d'abord, ce titre traduit absolument dégoulinant de bons sentiments (!) semblable à un titre de roman de Guillaume Musso. Et puis Emma Stone, à qui les boucles rousses-roses-blondes et des lentilles de couleur toute aussi étrange ôtent toute prestance et crédibilité. Pour finir, le fait que le film était une adaptation de best-seller me laissait craindre le pire.
Pourtant, passées les dix premières minutes de présentation de l'intrigue, l'ambiance tragi-comique du film m'a gagnée, et portée par ce mélange doux-amer de situations tristes, gênantes et amusantes, je me pris d'empathie pour les protagonistes. Il est vrai que l'empathie du spectateur, trop voyante et forcée, aurait pu être un défaut d'importance ; mais je n'ai pas eu l'impression que l'on ait tenté de me forcer la main dans la compassion pour les pauvres bonnes, et là réside toute la réussite du film. Le pathos est presque totalement exempt du film, à l'exception de cette scène caricaturale de l'appel d'une bonne à une autre, où l'on entend l'intéressée se faire battre en direct par son mari à l'autre bout du fil. Outre cette erreur de parcours, Tate Taylor fait preuve d'une certaine délicatesse et une pudeur appréciables dans l'allusion du difficile quotidien des bonnes, évitant les écueils des clichés rabâchés dans d'autres films de moins bonne facture.
Dans la forme, les images sont belles et les décors et costumes magnifiques. Le Mississippi des années 60 est retranscrit avec une tendresse apparente, exhortée par une bande originale délectable. La musique du film est du tonnerre ! D'un moment à l'autre, on passe de Ray Charles à Bob Dylan , et c'est une surprise et un régal de pouvoir se trémousser sur son siège entre deux scènes. D'autre part, les rôles sont truculents et les acteurs très bons ; certes, Emma Stone n'est pas terrible, mais les seconds rôles – Jessica Chastain et Viola Davis en tête – portent le film avec une bonne humeur contagieuse.
Ainsi, La Couleur des Sentiments, bien que son titre annonce le contraire, évite les facilités et le dégoulinement de bons sentiments ; et l'immersion dans le Mississippi des sixties de Kathryn Stockett se trouve être au final une expérience à la fois drôle et touchante, portée avec finesse à l'écran par Tate Taylor et ses actrices - je reconnais qu'Olivia Spencer, hier soir, n'a pas volé son Oscar du meilleur second rôle féminin.