"La couleur pourpre", c'est probablement ce que Spielberg sait faire de mieux : un film généreux sur un individu issu de minorités qui va peu à peu se dresser et réclamer le droit à une existence meilleure, sur fond de musique qui fait pleurer à base de violons et de cuivre. Mais n'empêche, c'est probablement un de ses deux meilleurs films, juste derrière cet épisode miraculeux dans sa carrière : "Les aventuriers de l'arche perdue".

Le film est un mélo situé dans le Tenessee, qui s'étale des années 1910 aux années 1930. Il est centré sur deux jeunes filles noires, Celie (Whoopie Goldberg) et Nettie. Celie, moins belle, est donnée en mariage à un veuf noir, Albert Johnson (Danny Glover) qui a une petite ferme et la réduit au statut d'esclave. Nettie vient la voir, lui apprend à lire, mais doit vite quitter la maison à cause des avances qui lui a faites Albert. Les deux soeurs jurent de s'écrire, mais les lettres de Nettie sont interceptées pendant vingt ans par le mari, qui se fait appeler "Mister". Mais la vie de Celie va changer quand elle va rencontrer une vieille passion de "Mister", la chanteuse de bastringue Shug Avery, fille illégitime du pasteur.

Ne nous voilons pas la face : ce film est bourré de pathos, de ces scènes lentes, avec du violon et quelques touches de piano, où des gens se font une accolade en pleurant de joie, relâchement de la tension installée quelques minutes plus tôt. Donc oui, le spectateur se fait mener en bateau, et un peu infantiliser au passage. Mais ce film vise moins un public adulte qu'un public jeune : c'est typiquement le film à passer en fin d'année scolaire, pour récompenser une bonne classe. C'est tellement humaniste et pédagogique.

Et puis franchement, qui peut résister au sourire de cheval de Whoopy Goldberg ? Ce film laisse éclater tout son talent d'actrice. Elle irradie dans chaque scène. Ajoutez à cela Danny Glover, excellent et souvent drôle en tyran domestique, très vite démuni dès qu'il doit faire quelque chose lui-même ; Oprah Winfrey en black bagarreuse qui va hélas vite comprendre la loi des blancs ; Lawrence Fishburn plus sexy que jamais en musicos cool qui ne fait pas de vague, et Margaret Avery dans le rôle de la chanteuse de honkytonk.

Est-ce un documentaire sur la condition des Noirs dans le sud, dans les années 1910-1930 ? Ce serait exagéré de présenter le film ainsi. C'est avant tout un divertissement, mais avec une reconstitution tout simplement sublime (je le dis sans exagération). Les paysages sont splendides, on se croirait dans "Autant en emporte le vent" (ha, ce linge qui sèche sur fond de soleil couchant). Les costumes sont parfaits, les cadrages et les mouvements de caméra d'une sensualité qui colle parfaitement au Sud. Spielberg était vraiment inspiré. Il ne cherche pas tant à faire dans la couleur locale facile qu'à recréer, avec une sincérité naïve et désarmante, l'environnement psychologique de son héroïne. C'est l'aventure individuelle qui l'intéresse : les interactions d'une jeune noire opprimée, qui n'abandonne pas la bonté envers les autres malgré toutes les merdes qui lui tombent dessus. Voilà ce qui l'intéresse : donc pas ou peu de white trash, zéro KKK, juste des personnes, qui portent chacune une petite part de drame, et recherchent toutes l'amour, qui est partout si on sait le trouver, à l'image de la couleur pourpre dans les champs de coton (si j'ai bien suivi).

En fait, j'aurais mis une note bien plus basse si j'avais tenu compte de la dernière scène, celle du retour de Netty. Scène très tire-larmes, avec présentations d'enfants et de parents qui auraient dû se connaître, violons et tout le bazar. Ce happy-ending pataud gâche tellement le reste que je préfère considérer qu'il ne fait pas partie du film. Là, Spielberg retombe dans ses vieux défauts, son côté Walt Disney-nous, en Amérique, on écoute son coeur, et tout le bazar.

8 c'est un peu haut, mais merde, après tout, c'est un film avec Whoopy Goldberg dans le premier rôle, quoi.
zardoz6704
8
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le 28 oct. 2012

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zardoz6704

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