Il faut être populaire pour baiser : c’est triste mais c’est pareil en grandes écoles qu’au lycée. Toute la demande féminine se concentre sur l’offre réduite des belles gueules charismatiques. Mais trois apprentis boursiers ont décidé de prendre en main le marché… et de trafiquer les côtes.
Il y a trois critères simples pour savoir si un film ne vous a pas fait perdre votre temps : l’affiche, les dix premiers plans, et une espèce de nostalgie à la fin du générique. La Crème de la crème coche les trois cases.
Le film accroche d’abord par un scénario original : dans la plus prestigieuse école de commerce française, il s’agit moins de bosser que de « baiser, boire et fumer ». Or si les deux dernières options peuvent se pratiquer en solitaire, la première est nettement plus drôle à deux. Le drame, c’est que pour choper il faut être visible, appartenir à un club. Les Apollons à polo collectionnent les conquêtes, et pour pour les autres … il reste le porno. C’est alors qu’un trio d’élève décide de bousculer la loi du marché. Le plan, c’est de faire monter le prix des garçons seuls en les affichait avec des jolies caissières, appâtées par l’idée de fréquenter le beau monde. Gagnant-gagnant. Et le pire c’est que ça marche.
Le trio est bien sûr assez classique dans sa disparité : l’intello mou, enrobé et gentil (français moyen OK), la blondinette volontaire et inaccessible avec sa part de mystère (transfuge de classe OK), l’insupportable grande gueule qui a finalement grand coeur (gratin versaillais OK). Mais le film nous épargne, avec beaucoup de bonheur, le triangle amoureux, et l’intrigue se concentre autour des progrès du « Club des cigares ». Le ton est assez bien maîtrisé pour que le spectateur soit partagé entre tendresse, on se dit qu’à vingt ans, envie, ils sont les rois du monde, et dégoût , c’est du proxénétisme en fait.
Parce que oui, c’est du proxénétisme, et d’amusement qu’elle avait commencé par être, la petite combine devient un vrai commerce. Mais le film se tait, jusqu’au bout, et il n’y aura pas d’autre moralité que celle qu’on décide d’en tirer. Quelques questions, posées, l’air de ne pas y toucher, aussi vastes que « Qu’est-ce que l’amour ? Qu’est-ce que le mariage ? Peut-on aimer longtemps ? Et hors de son milieu ? Peut-on vendre l’amour sans dommage, l’acheter sans remord, le profaner sans conséquence ? » Mais aucune réponse, ou seulement pas bribes. Une rupture triste dans un café de luxe. Un gros plan sur Adam et Ève dans le triptyque de Bosch. Un topo sur la « frayeur », ce frisson que s’offrent les garçons sages en sautant un instant dans le vide de l’aventure amoureuse, tout en sachant bien que dans leur dos il y a le parachute, et qu’il leur suffit d’un geste pour remonter brusquement.
Alors oui, le film a des défauts : il a des longueurs, des petites incohérences, des traits caricaturaux ; mais surtout il change, dans la manière de le raconter, de ce qu'on peut voir habituellement au cinéma, et par-delà ses maladresses, il se distingue par une grande justesse de ton. Ce n'est pas un "sans-faute", c'est un "plein-de-qualités". Qualité des prises de vue et du montage, qualité du casting et, bien sûr, belle surprise du plan final.
D'abord trop improbable pour ne pas être décevant, ce plan de clôture s’éternise assez longtemps pour passer du côté de la poésie pure, et laisse le spectateur plein de mélancolie," ce bonheur d’être triste". Parce que oui, le film est plus mélancolique qu’il ne veut bien paraître à premier abord, et après nous avoir fait rêver de nous envoyer, sans complexes et sans promesses, des filles de rêve dans des chambres d’hôtel, Chapiron nous traque jusque dans notre indécrottable romantisme. L'Amour avec une majuscule on en rigole ; mais quelque part on continue d'y croire. Et si on s’accroche aux accoudoirs, c’est par peur de voir se briser ce fil si ténu entre le beau Louis qui n’ose pas et la prudente Kelly qui se défend trop bien.
« Diluer le problème dans l'eau de rose, c'est trop facile ! » diront certains. C’est vrai, le film n’est pas sans s'accorder certaines facilités, mais on rit, on frémit, il y a Jean-Paul Lafarge en sous-vêtements et Alice Isaaz en nuisette, c’est romantique sans être tarte, sérieux sans être lourd, cynique sans être vide, le tout en 1h 30. Que demande le peuple ?