Kim Chapiron, c’est un peu « the boy next door » des enfants terribles du cinéma français. C’est ce gamin qui a eu la chance d’être le voisin de palier de Mathieu Kasovitz. C’est cet étudiant qui n’aura même pas obtenu son bac et qui voit La Haine se réalisait dans son quartier. C’est ces rencontres avec Kasovitz et Cassel qui vont lui donner envie de devenir réalisateur. 33 ans et désormais trois longs et deux fois plus de courts métrages à son actif, Kim Chapiron ne chôme pas depuis qu’il a fondé avec Romain Gavras, le collectif Kourtrajmé. Son jeune âge fait qu’il s’intéresse de très près à la jeunesse et la génération actuelle, il prend un certain recul et traite avec justesse les maux de la génération Y. Avec Sheitan en 2006, il se fait un vilain plaisir de donner un rôle démesuré à son pote Vincent Cassel dans un thriller horrifique bruyant qui laisse déjà entendre que ce petit Kim allait marquer les esprits. Quatre ans plus tard sort un véritable uppercut carcéral, remake de Scum d’Alan Clarke, un film de prison hostile et terriblement désenchanté sur ces ados emprisonnés et les moyens que la société se donnent pour les réintégrer au quotidien. Il ressortait de ce dernier film, un travail documentaire poignant où le réalisateur n’éloignait jamais la fiction de la réalité. Boulimique de travail, Kim Chapiron avait passé des mois dans ces prisons pour s’imprègner des ambiances, des univers, des gens et donner de véritables épaisseurs à ses intrigues et surtout à ses personnages. Avec La Crème de La Crème, Kim Chapiron revient en France et s’intéresse toujours autant à ces jeunes, les décideurs de demain empêtrés dans l’ambition, l’élite et la décadence. Mais ce qui le fascine surtout, c’est cette notion d’amour que la nouvelle génération semble avoir oublié. L’effet internet, dira-t-on.
The Social Network ? Il est vrai que le film lui est souvent comparé. A tort forcément car si Kim capte une époque, un mode de vie, une atmosphère actuelle, il n’en fait que son décor pour mettre en avant trois personnages intellos et ambitieux qui cherchent à savoir ce qu’est finalement l’amour à l’heure où ils sont capables de créer un véritable marché sexuel universitaire. La réussite de ce marché ne prouve qu’une chose, on paye, on vient, on baise, on part et on recommence. « Ma première idée avec ce film était d’évoquer le discours amoureux de la jeunesse d’aujourd’hui, dans un contexte où le divorce et la sexualité sont banalisés ». Oui, oui c’est de cela que le film parle. Certes, l’intrigue se passe -semble-t-il- au sein de HEC (LA business school de France) mais jamais le film ne prend le risque de citer l’école. Entre autres, parce que l’école a refusé que l’équipe du film y pose ses caméras mais également car ce n’est pas l’école ou la réussite en son sein qui l’intéresse, c’est avant tout voir comment ces jeunes dopés aux techniques managériales arrive à se saisir du rapport au sexe d’aujourd’hui pour en faire un véritable marché. Kim Chapiron intègre plein de petits trucs qui permettent de saisir le changement des rapports humains. Il lance son film sur la présentation de l’école puis enchaîne sur un étudiant en pleine masturbation, rivé sur son écran et le tout en 3D. Le sexe, presque aussi vrai que le vrai. Avec nostalgie, on retrouve Chatroulette et ses branleurs compulsifs ou ses jugements hâtifs sur le physique et rien d’autres que le physique. Au fond c’est ça le problème et le film y répondra bien, c’est qu’au sein de la génération Y que Kim Chapiron appellera finalement Génération Youporn, le physique a détrôné toute personnalité et pour certains le sexe est devenu une denrée rare, d’où création d’un marché.
Cela ne veut pas dire que Kim Chapiron porte un regard pessimiste sur cette génération -et le plan final en témoigne largement-, cela montre juste que le cinéaste ressent les mêmes peurs à l’égard de cette génération. C’est aussi l’occasion pour lui de lancer quelques piques à ces écoles qui construisent l’élite de demain. Au final, il s’agit d’un lieu clos, presque à part de la société, qui a ses rituels, son folklore, son langage. Les personnages observent les soirées de l’école et découvrent des codes, des stratégies, des techniques qu’il faut identifier, analyser et contrôler pour créer ce marché. Ces situations donnent lieu à des dialogues incroyablement bons où le sexe est assimilé aussi facilement à des termes économiques. Il faut dire que les acteurs y sont plutôt bons. Dan, Kelly et Louis sont jeunes et brillants. Certains reconnaîtront Thomas Blumenthal, qui a fait ses débuts dans Les Choristes et qu’on va retrouver dans Babysitting, d’une justesse et d’une retenue effarante. Son personnage est en total décalage dans la vie et se retrouve incertain sur tout. Il n’est jamais sûr de vouloir agir comme il fait, de vouloir tomber amoureux. Même ses goûts musicaux sont en décalage avec la génération d’aujourd’hui, quand les étudiants écoutent Justice ou Brodinski, lui chantent Berger ou Fugain. Alice Isaaz vient juste de se créer un honnête CV de cinéma avec les sorties respectives de La Cage Dorée ou Fiston. Tout comme Thomas Blumenthal, son personnage est en décalage avec la société, de par son orientation sexuelle et s’avère frustrée, presque en colère de voir que son marché tourne, réduisant à néant tous ses espoirs en la notion d’amour. Jean Baptiste Lafarge était déjà présent dans Les Yeux de sa Mère ou JC comme Jésus Christ mais avec ce rôle il s’avère déjà être une gueule du jeune cinéma français. Au sommet de l’élite et de la richesse, égocentrique et prétentieux, belle gueule et agaçant, il n’en est pas moins un personnage dont la réussite importe mais pas autant que « la frayeur ». Deux caméos viendront ponctuer le long métrage, celui de Mouloud Achour en DJ des soirées HEC, ou Jonathan Cohen (la géniale série Les Invincibles), le frère de Thomas Blumenthal.
S’il faut bien reconnaître une chose à Kim Chapiron, c’est qu’il a une vraie patte esthétique. Sa mise en scène ne ressemble à aucune autre en France et c’est un metteur en scène qui sait filmer les déboires d’une génération et surtout ses soirées décadentes. La lumière lors des soirées est juste sublime. La pellicule transpire de toute cette énergie déployée, de cette frénésie ambiante et de la chaleur des corps, des esprits soûls et de la chair dans ce qu’elle a de plus brute. Les peu de rapports sexuels visibles à l’écran sont filmés sans composition sonore, juste le bruit des corps qui s’entremêlent et des respirations alternées. Il y a un vrai travail de montage à laisser durer le plaisir plutôt que le couper trop rapidement. La dernière séquence montre un baiser et quel baiser, un vrai long baiser de cinéma comme on n’en fait plus. Un plan implacable. Derrière ça, les détracteurs du cinéaste continueront à lui reprocher son style publicitaire aux couleurs flashys et au montage ultra-découpé. C’est ce qui a été reproché à Fincher sur The Social Network, c’est un choix mais dans l’idée, ça fonctionne ! Après le film use de grosses ficelles scénaristiques par moment. La Crème de la Crème se rapproche parfois d’une sitcom à la française où les personnages sont empêtrés dans des histoires d’amour qui éclipsent certains propos du film. Quelques séquences viennent appuyer au marteau que ces jeunes n’ont aucune conscience de leurs actions, en témoigne la prise d’ecstasy ou les drinking game. Sans compter et c’est assez étonnant que Kim Chapiron, ou du moins l’intrigue, porte un regard extrêmement misogyne, les femmes étant prêtes à tout pour faire la fête et se sortir de leurs conditions misérabilistes.
Avec La Crème de la Crème, Kim Chapiron achève sa trilogie des moins de 20 ans et s’en va sur un projet plus mature. Il réalise une œuvre implacable dans le paysage audiovisuel français et prend avec parcimonie toute l’essence du film de campus américain en ajoutant une bonne dose de comédie romantique et de cynisme. Si le réalisateur tombe rapidement dans la misogynie, il ne fait jamais l’erreur de retranscrire la caricature du campus avec son lot de bizutage et de personnages winners et losers. Le cinéaste capte avant tout une génération d’étudiants consuméristes qui ne se rendent même pas compte qu’ils frôlent avec le proxénétisme. C’est aussi un regard sur ces jeunes qui souhaitent faire partie de groupes d’appartenance. C’est un regard désenchanté sur une génération qui fait de la peine à Kim Chapiron mais dont le dernier plan laisse à croire qu’il a encore beaucoup d’espoir en ces jeunes, qui apprendront de leurs erreurs. Le cinéaste a le mérite de ne pas porter de regard hautain sur ces élèves. Le plus drôle, c’est que malgré ce qu’est censé dénoncer le film, La Crème de la Crème fait un tabac sur les campus où il a été présenté en avant-première. Il y a même des fêtes appelées « Crème de la Crème ». Soit ils s’en amusent, soit ils n’ont rien compris, dans tous les cas le film suscite des réactions et c’est déjà un début. Pas dénué de défauts, il faut cependant admettre que Kim Chapiron est devenu un enfant terrible du cinéma français et il ne s’agit que d’une question de temps avant les festivals et cérémonies ne récompensent son travail. Là n’est pas son objectif mais ce serait à minima la reconnaissance d’un milieu qui salue timidement son travail.