Si la promotion entourant le film de Kim Chapiron pouvait laisser envisager le pire, à l’image d’une version française du navrant Spring Breakers de Harmony Korine, au final c’est plus du côté de The Social Network qu’il faut chercher une parenté. Dan, étudiant en école de commerce, tricard avec les filles envisage le monde uniquement sous l’angle économique, y compris les relations sociales. Ses échecs sentimentaux ? Le résultat de la loi de l’offre et de la demande. S’associant avec une jeune première année solitaire et le chef du BDE, il monte un véritable réseau de prostitution au sein des soirées de l’école pour faire augmenter la côte de ses clients sur le « marché ».

D’un scénario qui pourrait facilement être le prétexte à un film racoleur, Chapiron réussit à éviter le piège sans pour autant édulcorer la réalité qu’il filme. Le film est le constat de l’état d’esprit d’une époque et plus particulièrement de sa jeunesse. Une jeunesse essentiellement dorée, qui a été formé à devenir une élite financière, le tout en contrepartie d’une absence totale de liberté. Promis à un avenir brillant dès leur plus jeune âge, les étudiants filmés par le cinéaste, n’ont d’autre choix que de sombrer dans tous les excès pour se sentir exister, pour se donner l’illusion de vivre réellement l’espace d’un instant. Pourtant, même dans ces moments, ils ne parviennent pas à se débarrasser de la vision du monde qui leur a été inculquée et le rapport à l’autre, plus qu’un rapport d’affection et de sensibilité devient une affaire de possession, de réputation et de réseau. Comme le film de David Fincher, La Crème de la Crème démontre l’importance prise par la construction de son propre réseau social au sein des grandes écoles, allant au-delà de l’importance de l’enseignement.

Mais il s’agit aussi d’un film sur l’hypocrisie de ce système, sur le cynisme de ces jeunes gens qui en voulant donner du piment à leur vie toute tracée, n’ont pas le courage d’aller à l’encontre de leur conditionnement social, et pire, semblent s’en contenter. Ainsi, le personnage de Louis cristallise cette fausse rébellion : comme il le dit lui-même, son avenir sentimental est déjà tout tracé avec une jeune fille de bonne famille sans que cela ne semble lui poser de véritable problème. Il est celui qui voit dans le réseau de prostitution l’occasion de vendre le rêve d’une autre vie à des centaines d’étudiants mal dans leur peau. Le dialogue entre Dan et Eulalie résume presque tout le film : « Je crois que je suis en train de tomber amoureux – Non, tu es juste un train de te faire une frayeur », signe que tout cela n’est pas très sérieux mais uniquement un moyen de feindre de croire que l’on maitrise encore sa vie.
A côté, Kelly, issue d’un milieu modeste, ne parvient pas à s’enlever son sentiment d’illégitimité à être admise sur dossier sans passer par la classe prépa. Comme les autres, elle met de côté sa personnalité, pour s’en inventer une autre et tenter d’entrer dans le moule. Mais malgré cela, comme on lui explique dès le départ, elle ne fera jamais partie du bon réseau, elle sera toujours renvoyée à son statut.

Face à ce constat désastreux, la solution aurait pu être de contempler le vide et le cynisme en n’y présentant aucune issue. Chapiron choisit pourtant de créer une forme de happy end pour son film, notamment par le rapprochement amoureux de Kelly et Louis. Si cela peut sembler une énorme ficelle pour conclure le film de manière positive, il faut peut-être y voir le signe d’un espoir que veut envoyer le cinéaste. Un appel à la révolte en somme contre ce système qui court à sa perte. Maladroite, cette approche qui s’accorde avec un regard qui reste bienveillant sur tous les personnages malgré leurs actes, les présentant avant tout comme victimes de cette société, rend le film extrêmement attachant. La mise en scène n’est pas la révolution vantée par certains mais force est de constater que Kim Chapiron a l’avantage d’être un cinéaste et de savoir se servir de sa caméra.

Au final, La Crème de la Crème est un film lucide sur le cynisme et l’hypocrisie d’une époque mais qui veut croire, quitte à être maladroit, qu’un sursaut reste possible. Un film dépourvu de cynisme dans son approche, ce qui constitue une vraie surprise.
ValM
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le 18 sept. 2014

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ValM

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