‘La Dérive des continents (au sud)’ est une satire féroce et vraiment drôle des institutions européennes. Les comédies actuelles étant souvent tièdes ou consensuelles, celle-ci détonne. On pardonnera donc au film sa fin un peu facile, gentille.
En Sicile, en 2020, dans un camp de réfugiés, Nathalie, une officielle de l'Union européenne est chargée d'organiser une visite, réputée impromptue, du Président français Emmanuel Macron et de la chancelière allemande Angela Merkel en collaboration avec deux délégués gouvernementaux, l'un français et l'autre allemande avec laquelle Nathalie a déjà travaillé. Nathalie retrouve aussi Albert, le fils qu'elle a abandonné neuf ans auparavant, qui officie dans le camp comme bénévole d'une ONG.
La qualité de ce film est que tout le monde en prend pour son grade. En premier lieu, les institutions européennes. Elles sont à côtés de leurs pompes. Le personnage de Nathalie, malgré ses bonnes intentions, n’est pas à la hauteur de l’enjeu. Voir l’entrepôt où sont entreposés les fiches des migrants. Mais comme les serveurs informatiques étaient trop légers, tout a été fait à la main. En second lieu, les représentants des gouvernements. Obsédés par l’image de ceux qu’ils représentent, ils distillent des éléments de langages, planifient des séquences à l’avance pour que les chefs de gouvernements apparaissent à leur meilleur, mettent littéralement en scène un faux camp de migrant plus télégénique.
On sent que le metteur en scène souhaite tendre vers une comédie italienne. L’écriture est précise, acide, amère et pas un personnage ne paraît sauvé. Car tout n’est pas tout noir, tout n’est pas tout blanc. Les bénévoles de l’ONG ne sont pas épargnés. Le metteur en scène suisse moque leur fougue, leur activisme radical. Quant à cette jeune blogueuse italienne, elle est obsédée par la recherche de scoop qui attirerait des lecteurs. Le réalisateur se permet tout, et a peu de limite. Et ça fait du bien ! Je me souviens d’une allusion assez osée à Auschwitz, dont la synagogue aurait été pillée par le jeune bénévole.
Le réalisateur marie habilement la satire avec l’intime, la mère souhaitant renouer avec ce fils qu’elle a négligé pour sa carrière. Sans remords ni regrets, elle lui impose même de lui rendre une somme d’argent assez importante. La réconciliation suit un schéma assez conventionnel mais les rapports mère-fils sont traités avec subtilité, leur rapprochement n’étant ni facile, ni impossible.
Cette partie est filmée de manière assez antonionienne (toutes proportions gardées). Lionel Baier utilise plutôt les paysages parfois désertiques et arides de la Sicile. Ces paysages semblent renvoyer les personnages à leur solitude, la mère n’ayant rien d’autre que sont travail, le fils étant parfaitement déboussolé. Un beau plan dans un labyrinthe blanc souligne la complexité de leur relation. Il est dommage que la fin soit plus consensuelle et facile, alors que le film était mordant et complexe.
Les acteurs sont vraiment très bons. Isabelle Carré interprète avec nuance cette bureaucrate et ses talents comiques ne sont plus à prouver. Mais la révélation du film est Théodore Pellerin dans le rôle du fils. Il livre une performance assez complète et a un tempérament à la fois comique et mélancolique. Tom Villa n’a qu’une seule épaisseur de jeu : la raillerie caustique mais cela va avec son personnage : un ersatz de jeune technocrate à la Gabriel Attal. Enfin, la suissesse Ursina Lardi joue avec brio cette allemande pincée et pète-sec.
‘La Dérive des continents (au sud)’ est une petite réussite où tout est très bien fait et surtout bien vu. Lionel Baier a vraiment fait le job. Ce film est vraiment à voir et surtout, il donne envie comme tout bon film de redécouvrir la filmographie de ce cinéaste méconnu. Ce film fait partie d’une quadrilogie qui comprend déjà ‘Les Grandes Ondes (à l'ouest)’ et ‘Comme des voleurs (à l'est)’. En attendant de découvrir le quatrième point cardinal (au nord), je vais essayer de trouver ces deux-là.