Une statue du Christ chahutée par un hélicoptère dans le ciel romain telle une babiole, et nous voilà emmenés dans la jungle mondaine, excentrique et impénitente de Marcello Rubini. Ce journaliste de presse people, campé par un Mastroianni au summum de l’élégance et du style, aspirait autrefois à une littérature plus noble. Le jeune provincial se complaît et s’enfouit à présent dans un enivrement de fantaisies et de frivolités avec ses connaissances bourgeoises et aristocratiques. Des épisodes de son périple décadent l’invitent néanmoins à reconsidérer sa philosophie de vie. Mais, ni la tentative de suicide de sa fiancée, ni les coups de poing d’un compagnon jaloux, ni les interrogations spirituelles de son ami Steiner - puis son suicide - ni la vieillesse et l’éloignement de son père, ni les disputes avec sa fiancée ne le détourneront de son égarement. Toutes ces épreuves lui glissent entre les doigts, le somnambule reste fatalement sur le fil décousu de son paradis artificiel. De passade en passade, de terrasses à paparazzis en villas de la haute société, nous vadrouillons à bord de la Triumph de Marcello, d’aventure en aventure. Fellini capture au sein de chaque plan la somptuosité de l'image et la majesté de ses acteurs, de leur gestuelle et mimiques. Le réalisateur italien fascine par sa faculté à montrer à la fois la popularité et la solitude de Marcello, à esquisser la pureté en affichant le vice, à confondre habilement l’utopie et la gravité. La dolce vita n’a de douceur que l’insouciance, et de vie que l’apparence des frasques, l’apparat des fresques d’une société dont la déliquescence semble inévitable. Ces chapitres de l’histoire de Marcello tracent un chemin vers l’illusoire légèreté de son existence. Il paraît si seul au milieu de tous les badauds et les mannequins, ces statues. Une déclaration d’amour de Maddalena (lunatique et délicieuse Anouk Aimée) lors d’une énième sortie pittoresque dans un château avait pourtant laissé entrevoir sa véritable sensibilité et exhumé son discernement - énième illusion. Son quotidien se trimbale de spectacles en amusettes, chimères ornées d’extravagances et de marionnettes l’accompagnant. Il plonge dans la fontaine de Trevi comme dans le théâtre de son aveuglement. Entre tout ça un intermède de prise de conscience, scène où il essaie d’écrire mais se laisse distraire par une jeune serveuse. La page reste blanche, comme sa propre vie, cette bagatelle. Il retrouvera cette serveuse, Paola, après des ivresses et des ivresses encore, un lendemain de mirages. D’un bord de plage à l’autre deux mondes. En réponse à la pureté lucide aux reflets blonds et angéliques, de l’autre côté du rivage se dresse une amnésie, un vide abyssal à l’éclat terne de la plénitude.
8.5/10.