Paris, première moitié des années 2000. Obnubilé que j'étais par le continent asiatique, je n'avais toujours pas découvert de film de Wes Anderson. Il n'en avait alors que trois à son actif et mes échos cinéphiles sur lui étaient diamétralement opposés. Certains enthousiastes, d'autres qui s'agaçaient de son cinéma vignetté et de sa maniaquerie de production design à leurs yeux purement décorative. Trouver La Famille Tenenbaum en double DVD Criterion soldé fut l'occasion de me faire ma propre opinion. Visionner le film fut une expérience formatrice de ma cinéphilie: découvrir un cinéaste, le considérer d'emblée comme important mais tout de suite entrevoir le type d'impasse artistique le menaçant sur la longueur.
La Famille Tenenbaum, c'était donc un sens du cadre, un film balançant du casting all stars au rythme d'une mitraillette, un portrait désenchanté d'une famille dysfonctionnelle (avec un Bill Murray cousin ricain de Kitano le clown triste) et une sensibilité enfantine du scénario rapprochant le dandy Wes Anderson d'un autre cinéaste chez qui le production design comptait beaucoup : le gothique Tim Burton. Mais d'un autre côté le travail gratuitement pointilleux d'élaboration des décors, le côté vignetté inspiré de la BD et brillamment exécuté par le montage étaient à deux doigts du pilotage automatique, de la suite de saynètes dénuées d'émotion. Le film trouvait cependant son incarnation dans un usage du montage sonore n'ayant rien à envier à Tarantino et Scorsese : la manière dont l'emploi de These Days de Nico met à nu la tristesse derrière les retrouvailles entre Margot et Richie est un bel exemple du cinéaste à son meilleur.
Enorme enthousiasme donc mais crainte que son cinéma puisse un jour tourner à vide comme avait fini par le faire celui de Tim Burton. Ce danger-là se matérialisera d'abord durant la première demi-heure autoparodique de Moonrise Kingdom. Par chance, Anderson retrouvera la verve des grands jours en se focalisant sur ses gamins fugitifs. Mais l'impasse artistique sera atteinte lorsqu'Anderson tentera de retravailler le mythe de l'artiste américain vivant à Paris sur The French Dispatch. Parce que l'exemple Burton m'avait échaudé, la déception fut nettement moins amère qu'avec le réalisateur d'Ed Wood. Tant mieux, il est illusoire d'attendre que les grands cinéastes soient toujours au sommet. Et La Famille Tenenbaum fait malgré tout partie avec Rushmore et La Vie Aquatique des réussites majeures de son auteur.