Je vais certainement me taper la honte, mais je n'avais encore vu jamais de film de Yórgos Lánthimos auparavant. Donc, je suis tout à fait incapable de comparer cette œuvre à ses autres films, à la placer dans un style quelconque. Ce qui fait que je vais la critiquer dans son individualité.
Bilan mitigé...
Déjà sur un plan formel, j'ai lu les propos du directeur de la photographie qui disait que l'utilisation (abusive !) du grand angle et du fisheye servait à souligner l'isolement des personnages, à donner l'impression qu'ils vivent dans une sorte de prison. Euh, non, c'est utilisé n'importe comment, arbitrairement. Je pense surtout que c'était pour faire genre, pour se la péter. Se la péter de quoi ? Lánthimos n'est pas Kubrick. Ce n'est pas une utilisation intelligente et réfléchie de la technique, ça. Vous voulez une utilisation intelligente et réfléchie du grand angle pour renforcer la sensation d'isolement des personnages, regardez plutôt du côté de Shining.
Ensuite, je n'ai rien contre un fond moderne ajouté à un film historique, je n'ai rien contre une bonne avalanche de MeToo. Mais cela ne justifie en rien que tous les personnages masculins soient tous représentés comme des gros débiles pervers incapables de faire quoi que ce soit d'intelligent par eux-mêmes, ne dégageant pas la moindre once de personnalité en dehors de ces traits lourdement caricaturaux.
Et je n'ai rien contre le fait que l'on montre de la déchéance partout, même si la période historique traitée n'était pas particulièrement plus décadente qu'une autre (au contraire, c'était même une époque plutôt glorieuse pour l'Angleterre et Anne a été une grande souveraine, rendue d'autant plus méritante par le fait que la vie ne lui avait pas fait de cadeaux du tout !). Mais, pour en revenir plus précisément à notre sujet, je ne reproche pas le fait que le réalisateur montre de la déchéance partout (gros type perruqué à poil qui se reçoit des tomates par une cour avide de plaisirs sadiques, deux branlettes sorties de nulle part, etc. !) par rapport au contexte historique, ce que je lui reproche, c'est de faire cela gratuitement, juste pour essayer de choquer dans les chaumières. Il faut choquer. Choquer avec un fond, une utilité ? Non, juste choquer pour (essayer de !) choquer. Faire cela comme si c'était une révolution, comme si des milliers de films (la plupart d'une manière plus intelligente !) ne l'avaient pas déjà fait, comme si c'était le suprême du subversif.
Autrement, les jeux de massacre se portaient à merveille dans ces gros nids de vipères qu'étaient les cours royales, on est d'accord.
Mais risquer non seulement sa carrière, mais aussi sa peau en empoissonnant quelqu'un de plus puissant en présence de la monarque, c'est trop grossier comme rebondissement. Et de la part de l'empoisonnée, ajouter le danger au danger en partant le plus loin possible à cheval n'est pas la réaction la plus crédible quand on veut sauver sa peau.
Là, aussi, c'est pour essayer de choquer sans fond, juste pour avoir un prétexte bidon d'ajouter une scène se déroulant dans un bordel.
Reste que le film est sauvé par trois comédiennes absolument formidables. Rachel Weisz et Emma Stone sont très talentueuses pour jouer des personnages ne manquant jamais une occasion de se cracher leur venin. Elles les incarnent avec brio et charisme. Mais celle qui se distingue le plus est bien évidemment l'excellente Olivia Colman, émouvante dans la tragédie d'une vie gravement valétudinaire et solitaire, meurtrie fréquemment par la mort.
Son personnage et son interprétation sont les plus gros points forts de l'ensemble. Pour ce qui est du personnage, on a plus l'impression que c'est grâce à l'Histoire (oui, la grande, la véritable !) que grâce au scénario qu'on a le droit à un personnage aussi profond (et grâce à l'actrice qui réussit à retranscrire cette profondeur of course !). Parce que l'intrigue a tendance à faire trop dans le surplace en ce qui la concerne, surtout dans le tiers central du film. C'est dommage, car la scène finale, lors de laquelle, malgré le fait qu'elle a beau être malade, isolée, moquée, méprisée, c'est toujours elle la reine, que c'est toujours elle qui a le vrai pouvoir et c'est toujours elle qui aura le dernier mot, montrait qu'on aurait pu aller plus loin dans l'approfondissement et dans la complexité.
En résumé, un grand potentiel, merci Histoire avec un grand H, renforcé par les trois interprètes principales, égratigné pas mal par l'esbroufe d'un réalisateur qui se croit (sur la base que je n'ai vu pour l'instant que ce film de lui, je le précise encore une fois !) plus malin et talentueux qui ne l'est réellement.