« La femme au portrait » appartient à la légende du film noir. Réalisé par Fritz Lang en 1944, on peut le rapprocher de « La rue rouge » tourné un an plus tard, toujours par Fritz Lang et avec le même duo d’acteurs vedettes : Edward G. Robinson et Joan Bennett. Mais on peut également le rapprocher de « Laura » d’Otto Preminger qui date lui aussi de 1944, qui est encore un modèle du film noir et dont l’intrigue fait intervenir un portrait de femme. Enfin, on peut le rapprocher d’ « Assurance sur la mort », toujours de 1944, réalisé par Billy Wilder, où Edward G. Robinson joue le rôle d’un enquêteur au service d’une compagnie d’assurance. A noter que Billy Wilder a particpé à l'élaboration du scénario de "La femme au portrait".
« La femme au portrait » est très classique dans sa forme. Pour le spectateur de 2012 non averti, il peut paraître lent. Le noir et blanc ne doit pas rebuter, pas plus que le format 4/3. Fritz Lang mène son intrigue de main de maître et le spectateur est constamment amené à découvrir de nouvelles informations qui changent sa vision de l’ensemble.
Le début montre Richard Wanley (Edward G. Robinson) dans son rôle de professeur. Il évoque les différents cas d’assassinats… Puis, il rejoint ses amis dans un club new-yorkais. Avant d’entrer, il contemple le portrait d’une femme. Une toile exposée dans la vitrine d’un magasin juste à côté du club. Le titre original du film « The woman in the window » correspond à cette situation.
Dans le club, Wanley affirme qu’il n’a qu’une envie, se coucher tôt en pensant à son cours du lendemain. Si jamais il avait l’occasion de rencontrer la femme au portrait, il ne prendrait même pas son numéro de téléphone. Tout cela n’est plus de son âge. Seul, il s’installe pour lire dans un fauteuil et demande à ce qu’on le prévienne lorsqu’il sera 22h30. Quand on le prévient, il est surpris que le temps ait passé si vite. En sortant, il va jeter un nouveau coup d’oeil à la toile dans la vitrine. Là, le film décolle. A côté du visage peint, un reflet présente le visage de celle qui a posé. La magie de la mise en scène fait qu’on a du mal à savoir si ce visage est dans la vitrine ou si ce n’est qu’un reflet. Bientôt, Wanley se retrouve à discuter avec la femme tout en contemplant son portrait. Et, bien-sûr, quand celle-ci lui propose de venir voir chez elle d’autres œuvres du même artiste, il n’a pas la moindre hésitation.
Tout se passe à merveille. Mais comme on est dans un film noir, on se demande pourquoi la charmante Alice Reed (Joan Bennett) a invité de nuit un inconnu nettement plus vieux qu’elle. On sent d’autant plus l’arnaque vis-à-vis du naïf Wanley que bientôt un homme entre à l’improviste et se fâche à la vue de Wanley. L’inconnu se jette sur Wanley et tente de l’étrangler. Alice Reed un temps affolée trouve une paire de ciseaux qu’elle tend à Wanley. Dans un sursaut de légitime défense, celui-ci tue son agresseur en le frappant dans le dos (une scène qui inspirera forcément Alfred Hitchcock pour « Le crime était presque parfait » (1954)). On imagine alors qu’Alice a obtenu exactement ce qu’elle voulait, en faisant tuer l’agresseur par Wanley, sans qu’on puisse l’accuser de quoi que ce soit.
Mais le scénario réserve encore bien des rebondissements et bien des scènes amenant de nouveaux éléments. Car, malgré la légitime défense, Wanley et Alice Reed n’ont aucun alibi. Prévenir la police ? Ils préfèrent tenter de se débarrasser du corps. Ce corps est rapidement retrouvé. Et, l’inspecteur de police chargé de l’enquête est un des amis de Wanley…
Le mort n’est pas n’importe qui. La police remonte rapidement jusqu’à Alice. Bien malgré lui, Wanley est dans la mouvance de l’enquête, en tant qu’ami d’un policier. Sa position vis-à-vis d’Alice devient délicate. Wanley réalise que, lorsqu’on a commis un crime (même en état de légitime défense) ensuite la marge de manœuvre est bien faible. Et cette fois, ce n’est plus de la théorie comme dans ses cours. La fin imaginée par Fritz Lang est d’une grande subtilité pour passer au-dessus des règles établies par la censure du code Hays.
Le film révèle donc une situation de plus en plus complexe, qui amène constamment le spectateur à réviser ses impressions. L’ambiance au début bien tranquille vire au drame passionnel. Les acteurs y sont pour beaucoup. Fritz Lang filme souvent Joan Bennet en gros plan, pour montrer son masque de femme fatale évoluer progressivement vers des abîmes d’incertitude. Quant à Edward G. Robinson, il est impeccable en brave homme de famille qui laisse sa famille partir de New York au début de l’été et qui se retrouve frappé par le démon de midi de façon tellement imprévue que cela inspirera un autre grand réalisateur pour un film qui appartient également à la légende hollywoodienne : « Sept ans de réflexion » de Billy Wilder (1955) avec la fameuse scène de Marilyn Monroe à la robe soulevée au passage sur une bouche du métro, sous l’œil intéressé de Tom Ewell.
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