Après son départ pour les Etats-Unis, Fritz Lang fut l’un des chefs de file du genre du film noir à partir de la moitié des années 1940. Maître dans la dénonciation des injustices, comme il le montra notamment dans ses films des années 1930 comme Furie (1936) ou J’ai le droit de vivre (1937), mais aussi dans la mise en scène d’intrigues d’espionnage, comme dans Le Docteur Mabuse (1922), Les Espions (1928) ou encore Le Testament du Docteur Mabuse (1933), tout était là pour qu’il puisse pleinement s’exprimer dans ce genre en plein essor. Cela débuta ainsi en 1944 avec, d’abord, Espions sur la Tamise, puis La Femme au portrait.


Après s’être distingué dans de nombreux films policiers et de gangsters tout au long des années 1930, à commencer par Le Petit César (1931), qui le révéla, Eward G. Robinson passe devant la caméra de Fritz Lang. Loin de ses rôles de malfrats d’avant, il incarne ici un professeur de psychologie sans histoire. Père de famille, il mène une existence paisible qui consiste principalement à donner des cours, à retrouver ses amis à l’hôtel pour discuter d’affaires criminelles notamment, ou, encore, à admirer ce portrait exposé non loin de là, aussi mystérieux qu’envoûtant. Cette admiration sera à l’origine d’une rencontre, magique et fortuite, et l’imprévu va faire une entrée fracassante dans l’existence du professeur, qui disait, peu avant, avoir la sensation d’avoir atteint une forme de stabilité désagréable et quelque peu ennuyeuse.


S’il paraissait retrouver l’esprit d’une jeunesse perdue l’espace de quelques instants, le professeur Wanley va, malgré lui, être au cœur d’une affaire criminelle… Dans le rôle du meurtrier. Celui qui, dans une première scène prémonitoire, parlait des différents « degrés » d’un meurtre, allant de la légitime défense à la préméditation, dut justement se défendre contre son agresseur, mais appeler la police n’était pas envisageable. Proche d’un ami procureur qui va être positionné sur l’enquête, le professeur va être l’un des premiers spectateurs de son évolution, après avoir tout fait pour éliminer les pistes pouvant l’incriminer. La Femme au portrait nous invite à suivre un jeu du chat et de la souris, où le principal coupable voit directement l’étau se resserrer sur lui, invitant le spectateur à endurer ses tourments, car nous nous demandons bien comment il pourra bien s’en sortir. La situation est d’autant plus irrespirable que nous savons qu’il n’a pas agi en criminel, mais qu’il a été obligé d’avoir un comportement succès pour ne pas se retrouvé empêtré, lui et Alice, dans une situation qui serait compromettante pour eux deux.


C’est la configuration classique d’un plan destiné à contourner un problème, mais qui ne fait que le faire empirer, un plan où tout est pensé mais, finalement, plein de failles qui vont peu à peu se montrer. Comme si cela ne suffisait pas, le chantage va s’inviter dans cette sinistre mascarade, ingrédient essentiel à tout film noir qui se respecte, et qui va définitivement fragiliser notre duo d’infortune. L’orchestration de cet engrenage impitoyable est plaisante à suivre, tout comme elle rend l’atmosphère irrespirable. La Femme au portrait avait semé des indices dès le début, nous met face à l’évidence, et c’est, quelque part, à une contre-résolution que nous assistons, où tout est fait pour repousser ce qui paraît inévitable. Fritz Lang prend ses personnages au piège, et le spectateur avec, pour rendre l’issue de son film toujours plus incertaine, alors qu’elle paraît, quelque part, évidente.


La Femme au portrait, c’est l’histoire d’un homme qui était là au mauvais endroit au mauvais moment. C’est le rêve qui mène à la désillusion, l’innocence qui se transforme en culpabilité, la lumière qui devient ténèbres. En somme, le panorama classique d’un film noir, et Fritz Lang sait y faire, en nous tenant en haleine, en enfermant ses personnages dans un étau qui se ferme peu à peu. Une très belle réussite qui augure le prochain La Rue rouge (1945), dans lequel nous allons retrouver des visages familiers.


Critique écrite pour A la rencontre du Septième Art

JKDZ29
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes Les meilleurs films de Fritz Lang et Vus en 2020 : Une folle année cinématographique

Créée

le 19 nov. 2020

Critique lue 175 fois

7 j'aime

JKDZ29

Écrit par

Critique lue 175 fois

7

D'autres avis sur La Femme au portrait

La Femme au portrait
SanFelice
7

Alice dans les vitrines

L'avantage, avec les films noirs de Fritz Lang, c'est qu'il ne perd pas de temps en palabres inutiles. En trois scènes, cinq minutes générique compris, il a planté l'ambiance, présenté le personnage...

le 9 déc. 2013

31 j'aime

17

La Femme au portrait
Electron
8

Cycle Fritz Lang

« La femme au portrait » appartient à la légende du film noir. Réalisé par Fritz Lang en 1944, on peut le rapprocher de « La rue rouge » tourné un an plus tard, toujours par Fritz Lang et avec le...

le 22 nov. 2012

28 j'aime

21

La Femme au portrait
Artobal
9

Et Robinson crut oser…

Rebondissant (plus d’un an après) sur la critique de Limguela, c’est l’idée que les grands films ne sont pas faits de nécessités programmées mais de coïncidences qui m’amène à défendre la fin de "La...

le 12 févr. 2015

14 j'aime

5

Du même critique

The Lighthouse
JKDZ29
8

Plein phare

Dès l’annonce de sa présence à la Quinzaine des Réalisateurs cette année, The Lighthouse a figuré parmi mes immanquables de ce Festival. Certes, je n’avais pas vu The Witch, mais le simple énoncé de...

le 20 mai 2019

77 j'aime

10

Alien: Covenant
JKDZ29
7

Chronique d'une saga enlisée et d'un opus détesté

A peine est-il sorti, que je vois déjà un nombre incalculable de critiques assassines venir accabler Alien : Covenant. Après le très contesté Prometheus, Ridley Scott se serait-il encore fourvoyé ...

le 10 mai 2017

75 j'aime

17

Burning
JKDZ29
7

De la suggestion naît le doute

De récentes découvertes telles que Memoir of a Murderer et A Taxi Driver m’ont rappelé la richesse du cinéma sud-coréen et son style tout à fait particulier et attrayant. La présence de Burning dans...

le 19 mai 2018

43 j'aime

5