Les mots de la reconnaissance
La vie de Svetlana Geier est marquée par les exceptions. Sur 27 millions d'hommes emprisonnés par Staline, seuls mille sont ressortis vivants. Parmi eux, son père, qu'elle soignera, à 15 ans, pendant les six mois qu'il lui restera à vivre. Puis les Allemands en 1943, lorsqu'elle a 20 ans, la feront venir à Berlin et lui offriront une bourse pour qu'elle puisse étudier. Les officiers qui l'avaient ainsi aidée seront punis. Elle restera en Allemagne, enseignera à l'université et surtout traduira des œuvres de la littérature russe, notamment les cinq romans (ses cinq éléphants) de Dostoïevski. Une première fois dans les années soixante, une seconde au soir de sa vie.
Un sujet pas très vendeur, à l'évidence, mais porté par la foi de son réalisateur et par la personnalité lumineuse de Svetlana Geier: «Pourquoi est-ce qu'on traduit ? C'est le désir de quelque chose qui nous échappe sans cesse, de l'original inaccessible, de l'ultime, du véritable.»
Il suffit de regarder Svetlana Geier, voûtée par le poids des mots pour comprendre au sens littéral ce qu'elle dit à propos de la traduction des cinq romans de Dostoïevski: «On ne traduit pas cela impunément.»
Ce destin si étrange, elle le résume en disant qu'elle a traduit par reconnaissance pour l'Allemagne, Afin de lui apporter quelque chose en retour de ce qu'elle avait reçu. C'est dire que toutes les valeurs sont renversées. Rarement un traducteur traduit de sa langue maternelle dans une autre langue. Jamais on n'imaginerait une Ukrainienne avoir de la reconnaissance pour l'Allemagne pendant la guerre 39-45. Les mots sortent de sa bouche comme des paroles d'éternité et de vérité, avec une douceur indicible, et l'on reste médusé par tant de sagesse et de profondeur.
Au point que l'on ne ressort pas totalement indemne d'un tel film.