⚠️ Une maintenance est prévue ce Mercredi 4 décembre de 9h00 à 13h. Le site sera inacessible pendant cette période.

Si j’ai déjà assisté plusieurs fois à des premières mondiales, c’est bien la première fois que je vivais la première mondiale d’un film réalisé… quarante-six ans plus tôt ! Tourné en 1968 en plein milieu des événements de Mai (dont il n’est d’ailleurs pas du tout question dans le film), La Femme Bourreau n’avait en effet pas trouvé de distributeur à l’époque et c’est la société Luna Park qui, aujourd’hui, permet à cette perlicule méconnue de sortir enfin en salle.

Le film commence (presque) comme le Voyage au Bout de la Nuit de Céline, avec, en voix off, une phrase d’introduction étonnamment proche : « Ça a commencé comme ça. » Nous suivons Louis Guilbeau, vétéran de la guerre d’Algérie, personnage tourmenté et paranoïaque qui s’avère exercer le métier de bourreau. Il évoque la mise à mort d’Hélène Picard, une femme accusée de l’assassinat de plusieurs prostituées. Or, alors que l’affaire semblait classée suite à l’exécution de la sentence, les homicides se poursuivent et tout laisse croire qu’il y a eu erreur judiciaire. Guilbeau se lie avec Solange Lebas, une jeune inspectrice de police qui enquête sur l’affaire. Les éléments initiaux du récit sont posés et je n’en dirai pas davantage car dans le déroulement de cette trame se situent quelques surprises et quelques développements qu’il serait dommage de révéler à qui n’a pas vu le film. De toutes façons, nous avons là un long métrage dans lequel ce n’est pas – du moins à mon sens – le scénario qui occupe la place centrale mais où celui-ci sert plutôt de prétexte pour mettre en scène quelque chose de beaucoup plus précieux : une atmosphère.

Le premier plan nous présente un traveling dans une ruelle étroite, caméra à l’épaule, puis, quelques secondes plus tard, des volutes de fumée s’échappant d’entre les barreaux d’une fenêtre. Le film est influencé, paraît-il, par la Nouvelle Vague, mais l’élégant noir-et-blanc tirant tantôt du côté du réalisme et tantôt du côté du cauchemardesque, les gros plans inquiétants sur les visages, les dialogues énigmatiques, produisent une ambiance qui lorgne davantage vers le fantastique et ne sont pas sans rappeler les premières œuvres de Polanski. La manière dont se trouve traité le thème du travestissement évoque en effet certaines scènes du Locataire mais rappelle également, à certains égard, le Hitchcock de Psychose. Les scènes se succèdent comme autant de petits tableaux, délicats et entêtants : un micro-trottoir dans les rues de Pigalle ; la présentation, en quelques images qui constituent un chef-d’œuvre de composition, d’une prostituée avant son assassinat ; une poursuite sur les toits qui rappelle le temps béni du caligarisme ; une apparition de Jean Rollin…

La Femme Bourreau a les défauts et les qualités d’un film de jeunesse (le cinéaste avait alors vingt-six ans) : on sent quelques hésitations dans le jeu de certains acteurs, les victimes ont tendance à mourir de façon un peu trop théâtrale, l’ensemble présente quelque chose d’un peu déstructuré, le montage surprend parfois et certains raccords apparaissent étranges, mais c’est précisément cela qui crée ce trouble qu’on ressent durant toute la projection et qui en fait une vraie expérience de cinéma. La bande-son nous subjugue : le free jazz envoûtant, les chansons à textes d’un surréalisme funèbre, la voix grave de Solange, la mélopée récurrente des crieurs de journaux qui rapportent les développements de l’affaire, les envolées littéraires du commissaire de police et ces dialogues dont le ton parfois sentencieux pourrait être ridicule s’il n’était pas si hypnotique. Echapper au grotesque par le sublime, voilà bien la marque d’un très grand film.
David_L_Epée
8
Écrit par

Créée

le 21 oct. 2014

Critique lue 546 fois

4 j'aime

David_L_Epée

Écrit par

Critique lue 546 fois

4

D'autres avis sur La Femme bourreau

La Femme bourreau
takeshi29
9

Qu'est-ce qu'un beau culte ? ( Vous avez quatre heures )

Le film perdu, le film interdit, le film caché, le film détruit, le film invisible, le film censuré. Légendes, vérité, coups marketing, il est bien souvent difficile de démêler le vrai du faux, mais...

le 21 avr. 2017

2 j'aime

1

La Femme bourreau
Redzing
6

OFNI enfin fini

« La Femme bourreau » est un film qui aurait pu/du ne jamais sortir. Produit en 1968, il faudra attendre 2015 (!) pour que Luna Parks Films l’achève et le diffuse.Dans ce contexte, difficile de dire...

le 11 janv. 2024

La Femme bourreau
Jean-Denis_Bona
10

Bientôt 46 ans après

Ce film a été tourné en 1967 Aucun diffuseur n'en a voulu Et bientôt, 46 ans plus tard, Francis LECOMTE amoureux du cinéma va distribuer cette bête curieuse ainsi qu'un de mes court-métrages...

le 30 mars 2014

2

Du même critique

La Chambre interdite
David_L_Epée
9

Du film rêvé au rêve filmé

Dans un récent ouvrage (Les théories du cinéma depuis 1945, Armand Colin, 2015), Francesco Casetti expliquait qu’un film, en soi, était une création très proche d’un rêve : même caractère visuel,...

le 20 oct. 2015

33 j'aime

Les Filles au Moyen Âge
David_L_Epée
8

Au temps des saintes, des princesses et des sorcières

Le deuxième long métrage d’Hubert Viel apparaît à la croisée de tant de chemins différents qu’il en devient tout bonnement inclassable. Et pourtant, la richesse et l’éclectisme des influences...

le 6 janv. 2016

20 j'aime

1

I Am Not a Witch
David_L_Epée
6

La petite sorcière embobinée

Il est difficile pour un Occidental de réaliser un film critique sur les structures traditionnelles des sociétés africaines sans qu’on le soupçonne aussitôt de velléités néocolonialistes. Aussi, la...

le 24 août 2017

14 j'aime