La tragédie dénonce toujours l'irréconciliable d'une fracture et la dualité est son territoire. C'est pourquoi la passion amoureuse trouve en elle sa plus belle fiction. Truffaut le montre encore avec ce superbe film. Que peut pourtant raconter la modernité et le cinéma d'une histoire commencée depuis l'antiquité ?

Un moment est très beau : Mathilde croise deux hommes parlant de la relation adultère d'un troisième. Comme on est gaulois dès lors qu'il s'agit de l'histoire des autres ! Mathilde découvre le récit de sa relation et en est véritablement détruite. C'est qu'il est question de point de vue, et Truffaut l'a bien compris. Cette scène permet tout en dénonçant la banalité du sujet, de lui opposer la singularité de son traitement ; elle permet également de creuser un abîme de plus entre la vie et son récit. Le film n'est pas moderne tant dans la justesse sociologique de son contexte ou dans la vérité psychologique de ses personnages (qualités indéniables du film), que dans ce qu'il dit de nouveau sur la tragédie amoureuse. La profondeur de la mise en scène et des dialogues repose sur la binarité qui constamment construit des oppositions ou des symétries. Deux maisons, deux couples, la tragédie passée de Mme Jouve et celle actuelle de Bernard et Mathilde, le déchirement entre deux femmes, celui entre deux hommes, le mariage ou l'adultère, et les mots : « tu te comportes comme si tu étais un policier et moi un voleur. » ; « La différence entre toi et moi c'est que tu es amoureux et que moi je t'aime. » ; et bien sûr ce « ni avec toi ni sans toi » qui conclut le film.

Or la plus grande irréductibilité, le divorce le plus absolument consommé, l'emprunte de la modernité la plus évidente de La femme d'à côté, dans ce récit d'un impossible, c'est l'inconciliable des corps et du langage. Du désir et de sa durée. Jusqu'à la démesure, jusqu'à la folie – à quelle bête en est-il réduit – Bernard exige de Mathilde qui lui répond « nous n'avons rien à nous dire » : « Parle-moi. » Il n'y a aucune manœuvre, aucun calcul, aucune méchanceté dans la réponse de Mathilde. La conscience seulement que dire c'est promettre et que promettre c'est mentir. Et la passion comme la décrit Truffaut consume ses acteurs de se voir compromise, mais nécessairement incarnée, dans le langage qui est une durée. Parce qu'un corps sans mots ne suffit pas à raconter une histoire, Truffaut redécouvre la tragédie de la passion dans le récit d'un amour qui s'abîme dans son expression.
reno
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le 12 oct. 2011

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