Tchaïkovski... l'emploi du terme de "génie" est souvent galvaudé, mais pas dans le cas de ce compositeur absolument exceptionnel. Et encore, ces mots sont faibles. Mais on n'est pas ici pour parler de cette brillance, de cette carrière fabuleuse. Vous n'entendrez pas les notes virtuoses du Lac des Cygnes ou celles féériques de Casse-Noisette. Non, on est là pour évoquer une silhouette tragique liée à l'existence de l'auteur de La Symphonie pathétique : sa femme, Antonina Ivanovna Milioukova. Bon, vous n'allez pas me dire que c'est une surprise, étant donné que c'est comme le Port-Salut...


Bref, on suit la descente aux enfers (croyez-moi, ça désigne à la perfection ce que les deux heures et vingt minutes de l'ensemble sont !) de cette personne qui a voulu à tout prix épouser Piotr Ilitch Tchaïkovski, celui-ci acceptant uniquement à la perspective d'une belle dot susceptible de l'aider à régler des problèmes financiers et pour tenter de mieux dissimuler son homosexualité dans un pays pas franchement LGBT-friendly des masses. Piotr Ilitch, cet être irritable et misanthrope, développe une profonde répulsion (en particulier à partir du moment terrible lors duquel sa femme veut initier un rapport sexuel !) pour ce qu'il considère comme un véritable boulet dans son existence et s'en éloigne sèchement. Quant à sa dulcinée, elle est la femme de Tchaïkovski, elle ne vit, elle ne respire que pour cela. Elle ne sera rien d'autre. C'est une obsession qui va la pulvériser physiquement et surtout psychologiquement, jusqu'aux tréfonds de la folie.


C'est cette plongée atroce et anxiogène que Kirill Serebrennikov filme en mouvant sa caméra, aussi possédée que notre protagoniste, en la serrant (la caméra, pas la protagoniste !) d'une manière irrespirable sur ses personnages, sur son personnage, en rendant souvent discordant l'aspect sonore, en photographiant avec des tons sinistres, en mettant en avant d'une manière de plus en plus récurrente le motif du feu au fur et à mesure que l'héroïne se consume dans la déchéance la plus sordide. Il y a aussi le corps nu mâle avec lequel Antonina Ivanovna entre en contact, sûrement pour apaiser sa frustration, mais aussi peut-être pour essayer de se rapprocher, en quelque sorte, de son mari. Des visions fantasmagoriques apparaissent pour nous décrire visuellement la psyché de la réprouvée maritale.


Autrement, en toile de fond, se diffuse un féminisme, à travers lequel les quelques rares, brefs et minces rayons de lumière dans ce tableau sombre se trouvent dans les relations que notre figure funeste entretient avec ses sœurs ou avec une de ses belles-sœurs. Par contre, la plupart des personnages masculins sont tellement dépravés, brutaux, cassants, profiteurs, traitant les femmes comme des sous-êtres, qu'ils n'auraient pas détonné dans un roman de Dostoïevski.


Que dire de plus sur cette œuvre détraquée, puissante, qui vous nique bien le moral comme il le faut parce qu'elle est réussie ? Ah oui, mon Dieu, quel oubli affreux et irréparable ai-je failli commettre ! Aliona Mikhaïlova se donne à 1000 % dans le rôle principal. Je pèse mes mots en écrivant qu'elle est formidable, époustouflante, magistrale. Une des plus grandes performances d'actrice que j'ai vue au cinéma. La Femme de Tchaïkovski doit certes beaucoup à la mise en scène baroque et hallucinée de Serebrennikov, mais l'apport de Mikhaïlova est absolument inestimable. En conséquence, laissez-vous prendre par la mélodie pitoyable de ce sort cauchemardesque.

Plume231
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le 17 févr. 2023

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