Le réalisateur a été le voisin des Bertrand propriétaire et exploitant d'une ferme en Haute-Savoie. Enfant il y passait du temps à jouer dans la grange avec les autres enfants.
Il n'avait que quatre ans lorsque Marcel Trilliat a réalisé un reportage pour la télévision sur la vie de cette exploitation laitière et surtout de ses habitants. Le réalisateur s'en sert et nous propose donc de suivre l'évolution de la ferme sur trois périodes et c'est absolument passionnant. Si le film tombe à point nommé au moment où les agriculteurs en colère nous font part de leurs difficultés et de leur désespoir parfois, c'est tout à fait par hasard et le film ne me semble en aucun cas militant même s'il est social et politique. Il expose, en toute simplicité mais avec une grande précision le quotidien année après année, saison après saison, de ces travailleurs implacables qui jamais ne s'arrêtent, s'octroient parfois une semaine de vacances par an. Parce que les bêtes nécessitent une traite matin et soir. Pas question de s'absenter.
Le film alterne et entrelace trois périodes. En 1972, les trois frères sont célibataires et le resteront. Pas le temps pour les distractions et quelle femme accepterait cette vie isolée et de labeur ? Plus tard, ils transmettent la ferme à leur neveu Patrick et sa femme Hélène. Nous sommes alors en 1997, date à laquelle Gilles Perret leur consacre son premier film. Puis aujourd'hui, alors qu'il ne reste qu'un des frères courbés en deux après ces décennies de travail, que Patrick est mort, Hélène, les mains et le dos foutus s'apprête à prendre sa retraite pour que son gendre continue l'exploitation.
On est constamment et successivement émus, intéressés, surpris, émerveillés d'accompagner sur cinquante ans cette vie incroyablement répétitive et à la fois rythmée et bouleversée par la météo. Epatés aussi de constater que même s'ils ont parfaitement conscience de la dureté de leur travail, jamais ils ne se plaignent. Même l'admirable Hélène qui a consacré sa vie à "ses" bêtes, obligée de faire face à la méfiance de tous ces hommes qui ne pensaient pas une femme capable d'assurer les travaux alors qu'en plus de son travail elle élevait trois enfants... Et puis il y a André, toujours vivant, très à l'aise devant la caméra et avec les mots. Un charisme exceptionnel pour ce paysan qui aujourd'hui vit entouré de ses poules et reste fier de voir que la ferme est toujours là après toutes ces années, que les jeunes résistent encore.
On ne peut que les admirer lorsqu'ils regardent, éblouis, la nature qui les entoure et qu'ils veulent laisser la plus belle, la plus vivable possible. Ce film est carrément LE film qui expose au travers des sacrifices et de l'amour de la terre des paysans, de cette famille attachante, mieux que tous les discours à quel point ils sont indispensables et admirables.
Je vous recommande vivement ce film très beau, très fort, très émouvant aussi parfois.