Etonnant que ce long-métrage soit aussi mal considéré à la fois dans la filmographie de Buñuel et dans celle de Gérard Philipe. Dernier chapitre de la période mexicaine du réalisateur, La fièvre monte à El Pao a beau être un film de commande (ce qu'on semble lui reprocher), Buñuel ne s'abstient pas pour autant d'y imprimer sa patte. Au contraire il se réapproprie avec beaucoup de finesse le roman d'Henri Castillou.
D'abord dans le traitement des thèmes de la violence et du désir, leitmotivs de son oeuvre, qui s'imbriquent ici dans une réflexion simple mais passionnante sur le pouvoir et les rapports de force. Ensuite dans la peinture de personnages pétris de contradictions, emblèmes d'un cinéma qui se veut tout sauf manichéen. Dans la tête de Ramon Vasquez s'affrontent en permanence ses rêves politiques utopiques et les sacrifices auxquels il doit consentir pour changer les choses. Ainsi, Buñuel oppose à l'idéalisme de son protagoniste un pessimisme lucide qui n'appartient qu'à lui.
De prime abord un peu confus (dur de bien cerner la hiérarchie de cette dictature insulaire), le récit patine parfois en cassant son propre rythme, mais finit par gagner en intensité, à faire monter crescendo la tension qui se resserre autour de Vasquez. L'atmosphère torride du film n'y est pas étrangère. Tandis que le soleil écrase les hommes, la végétation s'invite aux limites du cadre comme pour resserrer l'étau. La caméra de Buñuel, souvent en mouvement, se permet aussi pas mal de contre-plongées qui donnent une ampleur étrange aux paysages de l'île.
Au milieu de toute cette moiteur, la sublime et déterminée Iñez (Maria Felix) et l'implacable et flegmatique salopard Gual (Jean Servais) volent la vedette à Gérard Philipe. Un peu trop en dedans pour convaincre pleinement dans le rôle principal, l'acteur est peut-être la seule grosse réserve à émettre sur le film, même si sa performance reste largement honorable. L'Histoire a retenu qu'il jouait là son dernier rôle. Son ultime sortie de champ, couplée aux terribles mots de la voix off, colle en tous cas un sacré frisson pour peu qu'on la fasse résonner avec son tragique destin.