La première pensée qui m’est venue à l’esprit en découvrant ce film, c’est un sentiment de quintessence visuelle absolue. Esthétiquement le film est juste parfait. Le travail du chef opérateur Freddie Young parvient à donner une incroyable profondeur aux splendides paysages de cette Irlande côtière sauvage, et l’utilisation de la lumière, notamment, lui donne un rayonnement touchant au suprême. La beauté prend corps et donne à cette œuvre son aura naturaliste qui l’élève au-delà du récit. Je ne m’en suis jamais remis et sa récente nouvelle vision a encore plus validé l’idée que l’on a à faire là, à un joyau brut du cinéma, un chef d’œuvre.
Tout est rassemblé pour parvenir à atteindre ce degré de perfectionnisme qui transpire à chaque plan. Chronologiquement, La Fille de Ryan est l’avant-dernier film de David Lean, ce grand métronome de la démesure. Lawrence d’Arabie, Le Pont de la Rivière Kwai, Docteur Jivago, autant de grandes sagas qu’il met magnifiquement en images avec le grand brio et ce sens inouï de la maîtrise du cadre dans des espaces grandioses qu’il parvient à mettre en valeur, sans perdre de vue ses personnages que la démesure de ses projets fait courageusement surnager dans un espace dédié au grand souffle épique, celui qui fait les grandes œuvres.
Au-delà de l’aspect esthétique qui donne sa force évocatrice à ce drame humain et l’élève au-delà du simple décorum, aussi splendide soit-il, c’est son casting et son incroyable palette de personnages secondaires qui donne au film une grande richesse. Au-delà des personnages principaux, dont un Robert Mitchum tout en discrétion, qui cache les blessures de son amour déchu avec une grande dignité, une Sarah Miles dans le rôle de Rosy, magnifique personnage féminin romanesque, tout en délicatesse et en subtilité, dont l’apparente fragilité cache une certaine perversité sous couvert de sensibilité, l’image de la femme tendant à l’émancipation en cette période régie par le patriarcat, c’est dans les seconds rôles que l’on trouve une véritable élévation qui donne au film une incroyable plus value, avec surtout un Trevor Howard formidablement charismatique et magnétique, dans le rôle d’un prêtre aiguillant et régulant les réactions primaires de cette communauté de gens de la côte rustres aux mœurs rétrogrades, et un John Mills dans le rôle de l’idiot du village, qui réussit une performance d’acteur absolument hallucinante.
Splendeur de l’environnement et pointillisme quasi masochiste, sont les ingrédients de cette fresque en milieu hostile, on imagine aisément le calvaire qu’a du être le tournage de la scène où la communauté vient en aide aux orangistes et se met à récupérer les armes et munitions échouées en pleine tempête. C’est lorsqu'il fait abstraction de l'artifice des dialogues qui sont assez succincts dans le film, que s’opère la magie de l’image dans une sorte de langage expressionniste qui renvoie au grands œuvres muettes qu’un Murnau n’aurait pas désavouées.
Le visuel admirablement anobli par un environnement propice prend alors des allures de grand ouvrage lyrique à la beauté qui aspire à une sorte de perfectionnisme qui crée les mythes et inscrit directement ce film dans le registre des grandes œuvres. Une immense bouffée de cinéma flamboyant à la beauté plastique absolue qui fait de David Lean, un grand auteur de l’épique et de la démesure prenant vie par l’image. L’un des grands esthètes du 7ème art.