Le carré des indigents : sans doute un néologisme qui permet d'éviter l'appellation de fosse commune. C'est l'endroit où sera enterrée cette fille inconnue. Voilà pour mettre tout de suite dans l'ambiance. Superbement filmé dans un Liège de désolation, totalement quart-mondisé, le dernier film des frères Dardenne nous parle de solitude, d'anonymat et d'individualisation. Trois concepts que l'on pourrait regrouper en un seul, celui de la déshumanisation de nos sociétés.
La solitude, c'est d'abord celle du docteur Davin, incarnée par une Adèle Haenel sans artifices ni maquillage, dont les paroles et les actes sont quasi mécaniques, vouée qu'elle est toute entière à son apostolat de médecin. Passant totalement à côté de toute opportunité de vie sociale (et a fortiori amoureuse), elle ne parvient à exprimer une quelconque empathie envers ses semblables que le temps que ceux-ci sont des patients. Les nombreuses scènes au cours desquelles on la voit téléphoner, dans sa voiture ou au bureau, accentuent cette impression de solitude, de par l'absence de proximité physique qu'elles montrent. Et que dire de l'interphone ? Mais, la solitude, c'est aussi celle des laissés pour compte qu'elle croise et soigne sans relâche.
L'anonymat, c'est bien sur celui de cette fille inconnue, qui vient mourir quasiment sous les fenêtres du cabinet dans lequel le docteur Davin exerce. Cette dernière n'aura de cesse - et c'est le pitch du film - que de découvrir son nom. Cela afin que ses proches en soit avertis. Déversant là le trop plein d'empathie qu'elle ne parvient pas à éprouver envers les vivants et cherchant à sans doute à exorciser sa propre solitude.
Individualisation, enfin et quoique de mieux qu'un médecin pour illustrer cela : l'acte médical s'exerçant à la base au profit d'un individu. Le docteur Davin soigne admirablement ses patients : une sainte, certainement, mais on sent chez elle à aucun moment cette flamme qui pourrait naitre du sentiment d'embrasser un dessein collectif. Totalement à l'inverse du précédent film des frangins Dardenne, dans lequel une femme se reconstruit au sein d'un collectif de travail.
Un film qui contrairement donc à "Deux jours, une nuit" n'est pas du tout du tout chargé d'espoir. Mais ça reste impeccable dans la réalisation et l'interprétation; du très bon cinéma social, de fait.