La genèse de ce film mérite de s'y attarder un instant, car je pense qu'elle peut influer sur sa réception. Les deux réalisateurs Joao SALAVIZA et Renee NADER MESSORA avaient lors d'un précédent projet accompagnés des membres de la tribu Krahô dans la réalisation d'un documentaire témoignage dont ils laisseraient le soin à ces indiens, après leur avoir expliquer les rudiments de l'utilisation des caméras, de parler de ce qu'ils voulaient et de n'être que des sortes de référents techniques.

Pour le film La Fleur De Buriti (2023), les deux réalisateurs ont voulu pousser plus avant l'idée de départ, en laissant aux Krahôs le soin non seulement de gérer les aspects techniques comme le filmage mais aussi de créer le scénario global, n'intervenant que sur la cohérence et l'écriture dans un souci de fluidité.

Il en résulte un film hybride qui d'un côté s'apparente à un documentaire tout en étant absolument fictionnel. On peut même parler ici d'une forme de docu-fiction, genre assez répandu en télévision mais à ma connaissance inédit au cinéma. Le docu-fiction se proposant en général d'à travers les yeux de personnages imaginaires de traiter de sujets de faits ou d'époques issus de la réalité.


Ce choix permet immédiatement de battre en brèche une idée reçue qui est très présente dans nos esprits occidentaux, qui voudrait que les indigènes dits "primitifs" - quel horrible terme - soient réfractaires et ignorants du monde moderne. Je pense, sans en être persuadé, que cette idée reçue vient de quelques exemples documentés de façon succinctes de tribus isolées qui ont pu être photographiées par exemple tirant à l'arc sur l'avion les survolant. Or ici on nous dit très rapidement qu'il n'en est rien, la modernité et la civilisation contemporaine font parties intégrantes de leur monde. Ils connaissent Internet et l'utilisent, ont des téléphones portables, leurs villages sont électrifiés et lorsque pour leurs besoins triviaux ils se rendent dans la métropole voisine, leurs habits sont ceux des citadins, avec l'influence américaine évidente.


Cette "révélation" qui en plus de nous questionner sur notre point de vue vis à vis de ces populations, va permettre dans un second mouvement de mettre le focus sur les attentes et les espoirs qui président à la destinée et la vie de ces hommes, femmes et enfants : la lutte pour leurs droits et le respect de leur monde.


Un monde qui peu à peu disparait, se meurt, un monde qui est constamment et littéralement étranglé par les appétits voraces et nihilistes du capitalisme, du libéralisme. Ce sont les espèces protégées animales qui sont prélevées illégalement pour le divertissement absurde de quelques uns, ce sont les orpailleurs illégaux qui détruisent leurs terres, ce sont aussi l'évocation dramatique des meurtres, souvent des femmes, perpétrées par les éleveurs afin de gagner du terrain pour le bétail au détriment d'une forêt qui pour les Krahôs constitue non seulement l'habitat, mais aussi la pharmacologie, la source nutritionnelle principale et le terreau de leurs croyances mystiques et mythiques. Leurs vies.


S'il eut été facile dès lors de produire un film programmatique, moralisateur et accusateur avec le risque au final d'avoir un effet répulsif stérile le condamnant à l'oubli rapide, le film réussit selon moi à éviter ces écueils et à prendre tout son essor et sa puissance. Cela tient à sa narration qui rentre elle dans le cadre de la fiction, à travers le regard d'une enfant dont un rêve récurrent, qui se rapprocherait d'un cauchemar prédictif, sa mère et les autres membres de sa famille étendue, entendez la tribu, vont se remémorer le passé de leur communauté, faire le lien avec leur présent et soupçonner leur avenir, guère lumineux ou optimiste.


Que symbolise ce rêve ? Quel message veut-il transmettre ? Quels choix faut il opérer pour contrecarrer ce qu'il semble annoncer ? Comment le guérisseur traditionnel va pouvoir pallier les défaillances de la médecine occidentale, au premier rang de laquelle la psychiatrie ?

Mais le parallèle entre les us ancestraux et l'avènement de la modernité marque rapidement ses limites intellectuelles car déjà dans les comportements des plus jeunes parait avoir gagné le second pan. Ils ont beaux être toujours quelque part attachés à leurs rites et coutumes, il semble évident que pour eux l'avenir se conjugue de façon diamétralement opposée à leurs aînés. Le libéralisme mortifère a gagné. Quoi qu'en disent les discours militants ou les démonstrations de "force" auxquelles participent les différentes tribus pour exposer leurs griefs vis à vis du sort que leur réserve la politique brésilienne entre autre, le film nous montre un monde condamné, à son insu mais de façon absolue.

Une scène résume pour moi tout le pessimisme qui transpire du film, vers la fin un jeune garçon à la beauté troublante participe à une manifestation avec d'autres tribus, il est vêtu comme n'importe quel adolescent qu'on croiserait en bas de chez nous, tout en portant les peintures rituelles de son clan et il chante un hymne dans sa langue indigène, mais tant dans son regard que dans son attitude physique on ressent qu'il n'y croit plus, qu'il est là par respect pour ses ancêtres, ses aînés, mais qu'il a pris conscience depuis longtemps de la fin programmée à plus ou moins long terme de son monde originel. Et cela m'a bouleversé.


Formellement j'ai trouvé le film superbe, avec l'intelligence de retranscrire à l'image l'idée maîtresse du script, laisser aux Krahôs, le soin d'exprimer ce qu'ils ont à nous dire, c'est à dire qu'à aucun moment le film semble factice, je n'irai pas jusqu'à dire que c'est filmé en lumière naturelle et avec des caméras documentaires, ça reste un film de cinéma, mais le soin a plus été apporté à illustrer un univers dont on ignore à peu près tout qu'à nous esthétiser à l'outrance l'ensemble.


Vous l'aurez compris j'ai été plus que séduit et convaincu par ce film à nul autre pareil, en dépit de son pessimisme il ouvre dans sa conclusion un maigre espoir.

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le 29 sept. 2024

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