Si Watership Down est assez peu connu sur notre territoire, le roman de Richard George Adams est considéré comme un classique dans les territoires anglophones. Depuis 1972 il s’est vendu à plus de 50 millions d’exemplaires. Le livre est régulièrement adapté, Netflix a proposé une nouvelle mini-série en 2018, rebaptisée La colline des lapins en France .
Le roman est un copieux livre, entre 400 et 500 pages selon les éditions. Une oeuvre faussement innocente sur des lapins en recherche d’un territoire, confronté à des difficultés cruelles. L’adapter en une oeuvre animée était un défi sur bien des aspects.
C’est pourtant ce que relève le britannique Martin Rosen, producteur, scénariste et réalisateur de ce film, sorti chez nous sous le titre faussement joyeux La folle escapade.
Bien sûr, il faut un peu couper, adapter certains passages. Mais le résultat est considéré comme fidèle. Et le film animé ne ressemble guère à d’autres, affirmant ses choix et sa personnalité.
Car cette histoire de lapins, il est temps de vous la présenter car c’est toute une société qui est décrite, à la fois proche de ce qui est connu mais aussi réinterprété comme une culture à part entière. Ces lapins ont une cosmogonie, avec un Dieu créateur et une incarnation animale qui explique leur physionomie et leur personnalité. Ils seront condamnés à être des proies, à être tués pour être dévorés, mais en contrepartie ils ont certains dons comme leur agilité ou la prémonition du danger.
Ce don est très fort chez Merlin, c’est un lapin chétif et inquiet, qui agace les autres mais qui pressent certains évènements. Il a l’instinct que la garenne dans laquel il vit lui et son frère, Cajou, est condamnée. Cajou va tenter de convaincre les autorités qu’il faut s’en aller, mais c’est peine perdue. Lui et son frère ainsi que d’autres lapins s’enfuiront malgré tout. La représailles est terrible, tous ne s’en sortiront pas mais certains arrivent à se sauver.
Cette première partie à la recherche d’une nouvelle garenne est un peu trop rapide, les évènements s’enchainent sans prendre le temps d’être correctement présentés. Ce qui intéresse plus Martin Rosen et son équipe concerne l’établissement dans une nouvelle garenne. La fuite est terminée, mais l’installation est imparfaite. Comme le dit si bien Cajou, il leur manque des femmes, ils ne sont que des mâles. Il faut perpétuer l’espèce. Une ferme est à proximité, mais les fermiers ont leurs armes, un chien agressif et un chat vicieux. Ou bien cette autre colonie, dirigée dans le sang et la violence, aux pattes d’un lapin cruel.
L’histoire de Cajou et des siens est celle de la quête de leur liberté, de vivre parmi les siens en paix. Cette aventure se fait avec un ton loin des angéliques productions Disney. Le lapin est une proie, c’est dans leur nature, c’est une fatalité qui pèse sur eux. Une inadvertance et un rapace en emportera un. D’autres animaux en feraient bien leur déjeuner. Mais le lapin est aussi une créature sociale, dans son rapport à l'autre. Le film ne manque pas de souligner la cruauté qui peut régner entre eux, par la volonté d’un chef militaire tout puissant ou même à cause des concessions à la liberté pour la sécurité.
Richard Adams, l’auteur, a participé à la Seconde Guerre mondiale, en tant que soldat, une expérience qui l’a profondément marqué. Sa cruauté se retrouve dans Watership down. Mais il était aussi engagé dans la protection de la nature, il est entré au ministère de l’environnement. Dès 1968 il arrive à faire signer une loi pour la protection de l’air, parmi d’autres de ses engagements écologiques.
Cette beauté de la nature, bien que parfois cruelle, se retrouve dans cette adaptation. Les moyens déployés ne sont pas les mêmes que d’autres grandes productions animées, mais cela n’empêche pas de pouvoir constater le soin apporté à ses décors, dans des nuanciers développés de couleurs, à l’aquarelle semble-t’il. La nature y est omniprésente. Les paysages peuvent être bucoliques, mais ils peuvent être plus sombres quand le danger roder. Certains plans se rapprochent de l’expressionnisme, dans leur découpage angoissant des ombres, quand d’autres aspirent à faire ressentir l’apaisement devant un beau paysage.
Pour faire vivre ces lapins, le parti-pris choisi a été d’éviter toute anthropomorphisation trop poussée. Les regards rejoignent ceux des humains, pour favoriser leur expressivité, mais ces lapins et autres animaux conservent leurs traits biologiques, de même que leurs manières de se déplacer, en dehors de quelques écarts. Tous les animateurs ne sont pas à l’aise avec cette représentation, certains comportements lapins semblent représentés de façon maladroite, certaines expressions jurent. Et il y a malgré tout une certaine animation un peu limitée, un peu rugueuse, les mouvements manquent de fluidité. Mais nous sommes en Grande-Bretagne dans les années 1970, la prouesse a mal vieillie mais elle reste impressionnante en se replaçant dans le contexte.
D’ailleurs, dans sa représentation animée, cette adaptation n’a pas peur de bousculer la concurrence. La mort est bien sûr très présente, mais le sang et les blessures sont fréquents. Ces lapins doivent se battre, et parfois le combat est inégal. Certaines exécutions sont très visuelles. C’est la dureté de la vie dans la nature qui est représentée, avec peu de compromis. Cela pouvait surprendre à l’époque, de nos jours plus d’un enfant doit être estomaqué devant ce dessin animé faussement innocent.
La folle escapade est donc une oeuvre fascinante. Une adaptation qui se sent parfois à l’étroit, dans le développement de ses péripéties ou dans la définition de ses personnages, mais qui ne sacrifie pas ses thèmes ou son ton. L’ensemble est un peu délicat, avec quelques ratés, mais qui possède une denrée rare : une personnalité. Dès lors que le sort de ces lapins nous attrape, le spectateur restera avec eux jusqu’à la fin.
Le film fut un succès. Ce qui permit à Martin Rosen d’adapter un autre roman de Richard Adams, The Plague Dogs, une incroyable réussite à vous broyer le coeur. J’espère avoir la chance de le revoir et de vous en dire quelques mots.