Regardé en streaming un autre bijou de Ernst Lubitsch, La folle Ingénue, son avant-dernier film sorti en 1946, éclipsé par les Ninotchka ou autre To be or not to be et qui pourtant sous ses airs faussement lisses cache une satire réjouissante de la société anglaise entre les deux guerres.
On est à Londres un après-midi de juin 1938 et la jolie Cluny se prépare, excitée comme une puce, à faire montre de tout son savoir-faire pour réparer un évier bouché en place de son cher oncle pris ailleurs.
Car cette candide jeune femme, oeil félin et bouche pulpeuse, se passionne pour les tuyauteries gargouillantes qu'elle adore remettre en état : une vocation de plombier qu'à son grand dam elle ne peut satisfaire.
Mais ce jour-là, une fois n'est pas coutume, Lady Ames , à quelques heures de son cocktail mondain, voit débarquer une charmante ingénue en tenue ad-hoc, prête à faire un malheur dans cet évier et surtout le bonheur de ses premiers clients.
Des scènes d'une sensualité inouïe quand Cluny, ayant passé brillamment le test du débouchage, se laisse aller à une satisfaction bien légitime, s'étirant et miaulant comme une chatte persane sous le regard médusé des hommes de la maison tandis qu'elle s'écrie triomphante ; "Je me sens tellement bien , tellement libre!"
Un charme et une fraîcheur qui n'échappent pas à l'épicurien raffiné qu'est le Professeur Adam Belinski, philosophe anti-nazi fraîchement émigré de sa Tchécoslovaquie natale, qu'illustre avec une élégante distance Charles Boyer, véritable trublion anticonformiste qui manie l'humour comme personne sur le ton le plus sérieux du monde.
Sans en avoir l'air la bourgeoisie anglaise est égratignée, maîtres comme domestiques, et notre pique-assiette, séduit par la liberté de ton et le naturel de l'extravagante Cluny va parfaire l'éducation de cette jeune personne entre coups de griffes et gaffes à répétition, marque de fabrique de la belle.
Le cinéaste reconverti pour l'occasion en Belinski ne se prive pas de bousculer les codes sociaux, disséquant cette société anglaise de l'intérieur, en profitant aussi pour se moquer de la psychanalyse très en vogue à l'époque: "un simple coup bien placé sur la tuyauterie et ça repart !"
Métaphores un peu scabreuses a-t-on dit, les allusions sexuelles sont évidentes mais faites avec tant de grâce que les censeurs de l'époque se sont laissé charmer par cette Folle Ingénue incarnée par la délicieuse Jennifer Jones qui après les joies de la plomberie va découvrir, initiée par son mentor et confident amoureux "l'art du plaisir"...