Guillermo Del Toro est un réalisateur assez cher à mon cœur et si je n'adore pas tous ses films, ils ont tous ce petit quelque chose qui m'intéresse et qui me touche à différents niveaux. C'est, à mes yeux, l'un des rares cinéastes actuels de genre à posséder un univers singulier et attachant où chaque film donne réellement l'impression d'ajouter sa pierre à l'édifice. Je n'imagine même pas à quoi ressemblera sa carrière dans vingt ans ; le nombre de créatures qu'il aura créées; les différentes scènes macabres qu'il aura réalisées...J'en ai des frissons rien que d'y penser. Bref, tout ça pour dire que de la poésie macabre de L'échine du Diable aux affrontements dantesques de Pacific Rim, j'aime tout ce que fait Guillermo Del Toro.
Chose étrange, "The Shape of Water" a beau être acclamé par la critique, je ne pense pas qu'il fasse forcément partie des meilleurs films du bonhomme. L'engouement global vient sûrement de l'évidente maturité du projet qui, contrairement à Crimson Peak par exemple, n'est pas forcément destiné à un public friand de cinéma de genre mais tends les bras vers un public plus large. En effet, Del Toro multiplie les thèmes plus qu'à l'accoutumée (guerre froide, racisme, sexualité, etc) et on sent clairement une volonté de s'affirmer non pas comme un auteur fantastique mais comme un metteur en scène de qualité (qu'il est pour ma part depuis longtemps). Cela se voit également à la mise en scène qui atteint ici un certain degré de maîtrise. Les éclairages sont splendides, les plans souvent beaux et on garde cet amour de la "véritable" matière au détriment des traditionnels effets spéciaux.
Ce que j'aime également dans le cinéma de Del Toro, c'est sa capacité à allier le macabre à la poésie. Pour tout dire, vu l'accueil du film j'avais peur que le film soit plus politiquement correct, moins "choc" que les précédents. Heureusement il n'en est rien, Del Toro est Del Toro et il ose filmer des choses qu'on n'a pas l'habitude de voir dans ce genre de production. J'aime cette façon de montrer des trucs parfois franchement crades (notamment par le biais du personnage de Michael Shannon qui est juste jouissif) puis d'enchaîner avec des scènes plus douces, parfois presque planantes comme cette jolie danse dans l'eau lorsque le bain déborde. Dans un registre un peu plus régressif, je constate aussi le plaisir de Del Toro à détériorer les corps de façon différente à chaque film - même si étrangement j'ai remarqué qu'il s'attaquait souvent aux visages. Le film manie bien tendresse et tension, et c'est bien là sa principale qualité. Au niveau des personnages, on sent une sincérité et une tendresse souvent touchante de la part du réalisateur qui n'est pas sans rappeler la quête d'amour d'Hellboy, le tout est d'ailleurs porté par d'épatants acteurs (surtout Sally Hawkins).
Malheureusement, le long-métrage n'est pas parfait . Comprenez-moi bien, je passe facilement au-dessus de la construction plutôt éculée du film ainsi que des quelques incohérences (cette non-sécurité du labo quand même) mais là où j'avoue être resté un peu sur ma faim c'est sur la relation entre Eliza et le monstre. Là où on pouvait s'attendre à une lente évolution de la relation, à observer patiemment l'apparition d'une attirance pourtant incongrue, Del toro fait le choix de cristalliser tout l'intérêt de la romance en quelques scènes clés. A l'arrivée ça donne l'impression d'une relation certes jolie par instant mais qui brûle un peu les étapes. Pour comparer, je trouvais que Dragons gérait bien mieux l'équilibre entre l'intrigue principale et les instants de décrochage avec la créature. Ici ça aurait mérité plus de temps pour que l'émotion soit réellement présente.
Je pense qu'à cause de cela le film risque de décevoir certaines personnes mais pour ma part il a réussi à m'emporter grâce à son ambiance et ses personnages . On retrouve tout ce qui me plaît chez le cinéaste qui a décidément le don de me toucher. Parfois beau, parfois violent, assez imparfait mais indéniablement attachant.
7,5/10